ENQUÊTE
Gaspillage alimentaire

Tous concernés !

En 2016, la France devenait le premier pays à se doter d’une loi mettant un terme à la destruction volontaire de nourriture et imposant aux grandes surfaces de redistribuer leurs invendus aux associations caritatives. Du producteur au consommateur, la grande distribution est une étape symbolique pour notre société, qui doit changer sa façon de produire, de consommer, et donc de jeter.

Si c’était un pays, le gaspillage alimentaire serait le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre mondial. Un fléau qui, rien qu’en France, entraîne chaque année la perte de 10 millions de tonnes de produits alimentaires consommables, pour une valeur estimée à 16 milliards d’euros. Triste constat lorsque, de manière paradoxale, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire est en augmentation constante. Pour autant, la distribution n’est pas le maillon le plus dispendieux de la chaîne allant du champ à la table (voir l’infographie « À chacun sa part de responsabilité », ci-dessous). Une étude conduite par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en 2016 montre en effet que l’ensemble de la distribution – des petits marchés locaux aux plus grands hypermarchés – produit 14 % des déchets alimentaires. Soit un taux de perte de 3,3 % des volumes achetés par les distributeurs quand celui des ménages s’élève à 7,3 %. Néanmoins, les denrées perdues au niveau de la distribution représentent en France l’équivalent de 2,8 milliards de repas de 500 g par an. Et l’impact économique est majeur.

Sanctions contre la destruction volontaire

Le coût de la « casse » – terme qui désigne dans la distribution les produits sortis des rayons – représente en moyenne 0,9 % du chiffre d’affaires des grandes surfaces. Soit la moitié de leur marge nette, selon l’Ademe. Un coût non négligeable pour les distributeurs mais aussi pour les clients, car cette « perte » est amortie par le prix de vente des produits. Elle est donc en partie à la charge des consommateurs. Au-delà des considérations économiques, « la grande distribution a vocation de symbole dans la lutte contre le gaspillage, estime Guillaume Garot, ancien ministre délégué à l’Agroalimentaire. Quoi de plus choquant, en effet, que de voir de la nourriture détruite ou arrosée de Javel bien qu’encore consommable. » Une pratique désormais interdite, grâce à la loi Garot qui, depuis février 2016, instaure des mesures contraignantes pour lutter contre le gaspillage dans le secteur de l’agroalimentaire. Sa mesure phare : la mise en place de sanctions contre les magasins procédant à la destruction volontaire de denrées alimentaires. Soit 3 750 € d’amende par infraction. Autre grand point de la loi, l’obligation pour les grandes et moyennes surfaces (supérieures à 400 m2) de passer convention, depuis février 2017, avec une ou plusieurs associations afin de faciliter les dons alimentaires. On peut regretter qu’aucun bilan n’atteste, pour le moment, de la mise en conformité des grandes surfaces avec la loi. Ou que les organismes de contrôle chargés de vérifier ces engagements n’aient pas encore été clairement désignés. Toutefois, dans les faits, de nombreuses enseignes n’ont pas attendu la loi pour collaborer avec les associations.

Défiscalisation du don

Dans le cas de Carrefour, « une politique de partenariat a été lancée dès les années 90 », relate Sandrine Mercier, responsable RSE (responsabilité sociétale des entreprises) pour Carrefour France, qui assure qu’aujourd’hui 100 % des hypermarchés et supermarchés de plus de 400 m2 de l’enseigne sont sous convention. Car le don est un geste solidaire et environnemental mais aussi valorisable financièrement. En effet, la défiscalisation du don alimentaire, plus connu sous le nom de loi ­Coluche, permet depuis 1988 aux magasins mais aussi aux producteurs, agriculteurs et transporteurs de déduire de leurs impôts 60 % de la valeur de leurs « générosités ». Une défiscalisation qui porte sur le don effectif, c’est-à-dire sur la base de ce qui est réellement pris par les associations et non de ce qui est potentiellement mis à disposition par les grandes surfaces. Cela afin d’éviter l’abus qui consisterait à utiliser les associations comme des poubelles de substitution.

La valorisation des déchets

Car pour les distributeurs, les aliments qui n’ont pas le droit à une seconde vie deviennent bien vite des encombrants, aussi volumineux que coûteux. « À Paris, la prise en charge par les entreprises de collecte et de recyclage des biodéchets coûte en moyenne de 120 à 180 € la tonne aux distributeurs », estime Baptiste Corval, l’un des cofondateurs de Phenix, une entreprise qui propose aux distributeurs de valoriser leurs déchets alimentaires. C’est pourquoi la loi instaure également une hiérarchie des actions à mettre en place pour lutter contre le gaspillage, valorisant en priorité le don pour l’alimentation humaine, mais aussi les filières complémentaires comme l’alimentation animale (don aux animaleries, refuges, zoos). Sans oublier en dernier lieu la transformation. Car « le déchet est la nouvelle matière première ! », clame l’entrepreneur, les déchets organiques étant éligibles à la production d’énergie ou au compostage. Et, si la perspective de donner aux biodéchets une valeur sonnante et trébuchante rencontre encore des freins en France, ceux-ci sont déjà bien valorisés dans d’autres pays européens. Ainsi la France ne valorise que 37 % de ses biodéchets alors que la Suède atteint 70 %. 

Des pratiques commerciales à changer

Malgré ces avancées, « il est peu probable que l’on atteigne un jour 0 % d’invendus alimentaires, notamment en raison des principes commerciaux des grandes surfaces, qui veulent que des rayons pleins attirent plein de clients », concède Baptiste Corval. Beaucoup de pratiques commerciales entre producteurs et distributeurs demeurent en effet discutables. C’est le cas, par exemple, des clauses contractuelles qui imposent une disponibilité élevée des produits de la part des producteurs, sans garantie d’achat de la part des distributeurs. Ou encore de la proposition faite par certains fournisseurs de gérer et de rembourser les invendus au magasin pour engager des volumes de commandes plus importants. Comme certains fournisseurs de chocolat qui, durant les fêtes, peuvent rembourser la marchandise si elle est détruite. Mais, en abandonnant ces pratiques au profit de différentes actions telles que la baisse du nombre de références en magasin, la mise de place de bacs promotionnels pour les produits arrivant bientôt à péremption, ou encore la vente assistée pour éviter d’altérer les fruits et légumes par trop de manipulations, « il est possible de valoriser jusqu’à 80 % de la casse », estime le fondateur de Phénix.

La loi a ses limites, les associations aussi 

Si la France est le premier pays à se doter d’une politique publique contre le gaspillage, la loi se révèle en pratique peu contraignante vis-à-vis des distributeurs, comme le souligne la Cour des comptes européenne (CCE). Dans un rapport daté du 17 janvier 2017, la CCE regrette, au sujet des conventions de don, que « le texte ne précise pas la part d’aliments concernée. Si le don porte sur seulement 1 % des produits alimentaires, la loi est respectée. » Et, à l’autre bout de la chaîne, les associations bénéficiaires peinent parfois aussi à récolter les dons. « Un des principaux freins au don alimentaire est le manque de moyens des associations en termes de logistique, de transport ou encore de stockage », estime Thibault Turchet, de l’association antigaspillage Zerowaste. Une étude de l’Ademe menée au sein de la métropole de Grenoble révèle notamment que moins de 24 % des invendus des grandes surfaces sont récupérés par les associations. Un chiffre qui ne surprend pas Alain Provost, de la banque alimentaire de l’Isère : « Il est plus facile de récolter auprès d’une très grande surface des grosses quantités d’aliments plutôt que de se déplacer dans plusieurs petites surfaces pour récolter dans chacune quelques kilos de produits frais et donc rapidement périssables. » Certes des solutions existent pour les produits hautement périssables, comme la cuisson de la viande ou la transformation et la surgélation des produits de la mer (voir Les initiatives antigaspi). « Mais elles sont coûteuses, en argent, en main-d’œuvre et en temps. C’est pourquoi les associations ont elles aussi besoin d’une aide de l’État plus forte », conclut Alain Provost.

Le consommateur au cœur du changement

La loi ne résoudra certes pas à elle seule le fléau du gaspillage des denrées. Néanmoins, elle a le mérite « de préparer le terrain en sensibilisant le grand public », estime Thibaut Turchet. Car les pertes alimentaires les plus importantes demeurent au niveau du consommateur, qui cumule à lui seul près de la moitié de la nourriture gaspillée chaque année. Et si les consommateurs restent difficiles à atteindre à travers la loi, « même à droit égal on peut faire mieux en adoptant des réflexes simples chez soi, en restauration et bien sûr au moment de faire ses courses », rappelle Guillaume Garot (voir encadré Les bons réflexes à adopter). Car, si le client fait loi, l’avenir du gaspillage alimentaire est bel et bien entre ses mains.

À chacun sa part de responsabilité

Répartition des pertes et gaspillage (en poids)

(Source : Ademe) 

Les chiffres qui fâchent

Gaspillage au sein des foyers :
29 kg par an et par habitant, dont aliments encore emballés 7 kg,
soit environ 30 g/repas et par convive.

Les produits les plus gaspillés à la maison sont :

  • les légumes 31 % ;
  • les liquides 24 % ;
  • les fruits 19 %.


Nous ­gaspillons 4 fois plus en restauration collective et commerciale (130 g/convive par repas) qu’au foyer
(Source : Ademe)

Pour le consommateur

Les bons réflexes à adopter

Chez soi, en restauration ou au moment de faire ses courses, adopter les bons réflexes permet de ne plus gâcher.

Au magasin

  • Dresser une liste de courses en prévoyant ses menus de la semaine.
  • Ne pas céder inutilement aux ­promotions de type « 3 achetés le 4e offert ».
  • Éviter de manipuler les produits fragiles (fromages, végétaux…).
  • Ne pas chercher au fond du rayon le produit ayant la date de consommation la plus longue.

À la maison

  • Ne pas confondre date limite de consommation (DLC) et date de durabilité minimale (DDM, ex-DLUO). Après DLC, un produit est périmé et non consommable. Après DDM, le produit n’est pas périmé : il est sans danger mais peut avoir perdu certaines de ses qualités.
  • Cuisiner les produits frais en fin de vie pour repousser leur limite de consommation.
  • Ranger son réfrigérateur en respectant la règle « 1er entré, 1er sorti ».

En restauration

  • Au self, oser dire « Merci, j’en ai assez », quitte à se resservir.
  • Au restaurant, demander à conserver les restes.
Marie-Noëlle Delaby

Marie-Noëlle Delaby

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