
Galettes des Rois
Qui se partage le gâteau ?
Publié le :
03/01/2015
Combien de boulangers-pâtissiers font encore eux-mêmes leurs galettes des Rois ? Impossible de le savoir, faute d’études précises et objectives. Seule certitude : elles sont souvent hors de prix.
SOMMAIRE
La galette des Rois, les Français en raffolent. L’année dernière, ils en auraient dégusté 32 millions ! Le jour de L’Épiphanie, bien sûr, mais pas seulement. À peine les bûches disparues des vitrines des boulangeries-pâtisseries, c’est au tour des galettes à la crème d’amandes et autre frangipane de tenir la vedette dans les rayons pendant quatre bonnes semaines. Déconnecté de sa dimension religieuse, le gâteau des Rois est devenu une occasion de se réunir en famille, entre amis, et même en entreprise où les dirigeants en profitent pour présenter leurs vœux. Même l’Élysée ne déroge pas à la règle. « Il n’est pas rare d’en manger quatre ou cinq fois dans le mois », assure Dominique Anract, le président de la Chambre professionnelle des artisans boulangers-pâtissiers de Paris (CPABP).
Produit artisanal contre industriel
Mais il y a galettes et galettes : celles produites industriellement et que l’on retrouve à prix cassés dans la grande distribution, et celles des artisans boulangers-pâtissiers qui coûtent souvent la peau du dos. Selon une étude réalisée l’an dernier par Frédéric Adida, conseil en marketing spécialisé en pâtisserie, les tarifs s’échelonnent de 3 € la part à plus de 6 €, voire 8 € dans les grandes maisons parisiennes (Dalloyau, Lenôtre, La Maison du chocolat, Pierre Hermé…) contre moins de 1 € en grandes surfaces. Certes, les galettes ne sont pas les mêmes. « Comparer la mienne avec un produit industriel, c’est comme comparer du gros rouge à la tireuse avec un romanée-conti », s’insurge Jacques Génin, pâtissier et chocolatier hors pair à Paris. Pour justifier des tarifs parfois prohibitifs, les artisans mettent en avant le prix des bonnes matières premières : pâte feuilletée au beurre frais, AOP Charentes-Poitou de préférence, et farine sélectionnée chez un excellent meunier, amandes issues à 100 % du fruit de l’amandier, etc. (voir encadré). « Dans les galettes industrielles, on remplace souvent les amandes issues du fruit de l’amandier par des amandes d’abricot ou de pêche. Pour serrer les coûts, on ajoute des agents de charge, comme de la chapelure dans le fourrage, ou on force sur le sucre. On met plus de farine et d’eau dans la pâte pour diminuer le beurre », affirme Pierre Mirgalet, président de la Confédération des artisans pâtissiers de France. Mais c’est essentiellement le coût de la main-d’œuvre, lié à sa durée de fabrication, qui joue sur le prix de la galette. En effet, il faut trois jours pour faire une galette dans les règles de l’art. Car entre chaque manipulation (pétrissage de la pâte, feuilletage, découpe des deux abaisses et fourrage, quadrillage et dorure au jaune d’œuf, cuisson), s’intercalent des temps de repos de la pâte. « En coût matière, sans compter la totalité des frais fixes, et en fonction des tailles, on est entre 6 et 10 € sur une galette aux amandes de bonne qualité », indique Gontran Cherrier, boulanger-pâtissier parisien qui vend ses galettes de 15,20 € (4-5 personnes) à 30,40 € (8-10 personnes).
300 références de galettes surgelées

Les consommateurs veulent savoir
Pourtant, selon Frédéric Adida, consultant en marketing pâtisserie, l’impact des produits industriels reste limité dans le cas des galettes. « Contrairement aux viennoiseries, qu’il peut être tentant de sous-traiter car la marge est faible alors qu’elles sont longues et difficiles à fabriquer, les boulangers-pâtissiers ont tout intérêt à faire leurs galettes eux-mêmes. Ce produit est la signature du savoir-faire de l’artisan, une occasion de se distinguer de ses concurrents. Si sa galette est bonne, il peut fidéliser ses clients pour toute l’année. » Sans doute, mais combien d’entre eux suivent encore cette logique ? Impossible de le savoir faute d’enquêtes fiables. Car, sur ce marché, l’industrie et l’artisanat s’efforcent de tirer la couverture à eux. Selon Philippe Godard, de la Fédération des entreprises de boulangerie et pâtisserie industrielles, « on peut estimer que quatre galettes sur cinq sont fabriquées par l’industrie. On les retrouve dans tous les circuits de distribution, y compris chez les artisans. » De son côté, la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF), qui représente environ la moitié des 30 000 boulangers de l’Hexagone, admet que le phénomène existe mais estime qu’il reste marginal. « La plupart des boulangers réalisent eux-mêmes leurs galettes, même si certains artisans peuvent céder à la facilité », affirme Hervé Benoist-Gironière, responsable de la formation à la CNBPF. On n’en saura pas davantage. Consciente du danger que ces moutons noirs représentent pour l’image de la filière, la Confédération des boulangers-pâtissiers planche sur un code des usages de la pâtisserie boulangère. Basé sur le volontariat, il valoriserait les artisans qui font eux-mêmes leurs gâteaux. Mais pas question d’étendre l’appellation « boulangerie » et les contraintes qui en découlent à la pâtisserie. Trop risqué pour la confédération. « On a au moins 25 % des artisans qui ne font pas leurs croissants », avoue Hervé Benoist-Gironière. Dommage, car, de plus en plus, les consommateurs veulent savoir s’ils ont affaire à de simples revendeurs ou à d’authentiques artisans. Faute de transparence, ils risquent de se détourner de produits qu’ils peuvent acheter bien moins cher en grandes surfaces. Avec le risque de voir disparaître tout un pan de notre culture gastronomique.
Reportage dans un salon professionnel : l’art de faire son beurre
Un fournisseur de pâtisserie industrielle pour les artisans, Coup de pâtes, nous a dévoilé ses secrets.
À quoi ressemblent les galettes proposées aux artisans par les industriels ? À quels prix leur sont-elles vendues ? Impossible de le savoir, les principaux distributeurs (Coup de pâtes, Européenne des desserts...) ayant refusé de nous répondre et de nous envoyer leurs catalogues. Face à cette omerta, nous sommes allés au Salon international de l’agroalimentaire (Sial), qui réunit chaque année à Villepinte (93) les acteurs majeurs du secteur, en nous faisant passer pour des clients potentiels sur le point d’ouvrir une pâtisserie. Réalisés en caméra cachée avec une équipe de France 5, qui préparait un reportage sur les bûches de Noël pour l’émission « Le doc du dimanche », les entretiens sont édifiants. Ainsi, Coup de pâtes incite ses clients à exploiter les failles de la réglementation et à tromper les consommateurs sur l’origine de la marchandise.
Le commercial qui nous reçoit sur le stand de Coup de pâtes nous rassure d’emblée : « Nous, c’est vraiment du haut de gamme, on ne vend pas aux supermarchés ! » Et il est vrai que la tarte au citron qu’il nous offre est délicieuse. « Mais n’est-on pas obligé d’informer le client que les gâteaux ne sont pas faits maison ? », lui demande-t-on. « Ah non, pas du tout, c’est bien le principe ! Notre credo, c’est d’être discrets. Donc, on va vous livrer très tôt le matin ou tard le soir, pour que les gens ne sachent pas que vous avez du surgelé chez vous. Ça, c’est vraiment notre truc ! Nos cartons sont blancs, nos camions sont blancs, ça n’est jamais écrit Coup de pâtes », précise-t-il. Et si on s’inquiète du risque de retrouver les mêmes gâteaux dans les pâtisseries voisines, il balaie l’objection : « Il y a tellement de choix dans notre catalogue… Pour vous retrouver avec la même chose que vos concurrents et, surtout, pour que les gens le remarquent, les probabilités sont vraiment faibles. »
C’est le jackpot !
Notre interlocuteur nous promet des gains faramineux sur ses galettes. Car, contrairement à la bûche, dont la période de vente se limite à quelques jours, la pâtisserie de L’Épiphanie a une fenêtre de tir bien plus large. « Autant il faut être raisonnable sur la bûche, autant vous allez vous rattraper sur la galette. Une bonne galette 10/12 parts, vous pouvez la revendre 27 € et vous nous l’achetez 12 € ! » Vérification faite sur le catalogue fournisseur, la galette en question coûte en fait 6,63 € HT. Une opportunité à ne pas manquer de faire son beurre sur le dos des consommateurs !
Reconnaître une galette faite maison
Le « fait maison » n’est pas un gage de qualité absolu, car les professionnels ne sont pas tous consciencieux. Dès lors, comment reconnaître une bonne galette ? Voici quelques points de repère.

L’aspect
Forme, couleur… autant de critères qui entrent en ligne de compte. Privilégiez les galettes avec une belle teinte caramel, un aspect régulier et lisse, sans vagues ni bosses, signes que les abaisses de pâte feuilletée ont été étalées avec soin et que la cuisson a été bien menée.
La beauté du décor (feuilles, dessins, etc.) témoigne également du soin apporté par l’artisan à la réalisation de sa galette. À l’inverse, un rayage standard en damiers, comme on le pratique dans l’industrie, doit éveiller votre méfiance sur la provenance du produit. À fuir aussi, les galettes trop levées pour être honnêtes : la proportion du feuilletage et de la garniture est déséquilibrée. Enfin, prêtez attention aux mentions indiquées sur l’étiquetage : beurre frais, amandes issues du fruit de l’amandier, etc.
La dégustation
C’est le test décisif. Selon Jocelyn Lohézic, boulanger-pâtissier à Paris 17e et gagnant du concours 2014 de la meilleure galette en Île-de-France, « une bonne galette c’est d’abord un feuilletage clair et net. Quand vous la coupez avec un couteau-scie, le feuilletage ne s’émiette pas, signe de sa richesse en beurre. Quant à la garniture, elle doit être généreuse, onctueuse et parfumée. Crème d’amandes (à base d’œufs, de sucre, de beurre et d’amandes) ou frangipane (la même chose additionnée d’un peu de crème pâtissière), c’est une affaire de goût. La crème d’amandes est tout de même un peu plus dense avec un parfum plus prononcé. »

Florence Humbert