Biocarburants

L'analyse détaillée de l'UFC-Que Choisir

Publié le : 10/01/2007 

Cette analyse prend en compte les controverses scientifiques liées aux biocarburants, le dispositif financier et étudie l'intérêt d'importer de l'éthanol en provenance du Brésil. En annexe, la question de la spécialisation des cultures et de la protection de l'eau, ainsi qu'un rappel de la dépendance pétrolière des consommateurs.

 

Les controverses scientifiques

L'efficacité énergétique des biocarburants est incertaine

- Le bilan énergétique officiel de l'Ademe est contredit par de nombreuses institutions

Les bilans écologiques sont au nombre de deux. Le premier concerne l'impact sur l'effet de serre et mesure donc les émissions nettes de CO2 d'une quantité de biocarburant comparé à une même quantité de pétrole. Le deuxième évalue le rendement énergétique, c'est à dire le volume d'énergie produit par le biocarburant moins l'énergie fossile qu'il a fallu mobiliser pour le produire. En se fondant sur l'écobilan de l'Ademe (1), l'Institut français de l'environnement constate que les biocarburants émettent moins de gaz à effet de serre que l'essence et le gazole. Les biocarburants « purs » (ester de tournesol, ester de colza et éthanol) ont un indice effet de serre compris entre 0,2 et 0,4 alors que le gazole et l'essence se rapprochent de 1,0. L'ETBE, pour sa part, présente un intérêt bien moindre : avec un indice à effet de serre qui dépasse 0,8, son bilan est très proche des carburants traditionnels.

Sur la foi de cette étude, l'IFEN (2) estime aussi que le bilan énergétique des biocarburants est favorable : « la production de biocarburants nécessite moins d'énergie non renouvelable que celle des carburants classiques. A énergie restituée identique, il faut environ trois fois moins d'énergie non renouvelable pour produire des esters méthyliques de colza et de tournesol que pour produire un litre d'essence ». Pour cet institut, l'ETBE présente aussi peu d'intérêt d'un point de vue énergétique.

Il faut cependant souligner que ce bilan écologique très favorable est contesté par d'autres instituts officiels.

L'article de synthèse de l'INRA sur ce sujet (3) estime que le bilan écologique de l'Ademe présente des approximations méthodologiques trop importantes. Le tableau ci-dessous expose les résultats de rendements énergétiques selon le type d'approche. Si les résultats divergent assez peu pour le biodiesel colza, ils sont par contre très différents pour l'éthanol : l'Ademe le juge très positif tandis que, pour l'INRA, il présente un intérêt énergétique limité.

Rendements énergétiques selon les modalités de prise en compte des co-produits

Méthode comptable, Approche Ademe

Méthode systémique, Approche INRA

Ethanol blé

2,04

1,19

Ethanol betterave

2,04

1,28

EMVH (colza)

2,99

2,5

Source INRA 2005

Le principe général de ces bilans est de calculer l'énergie consommée par la production de biocarburant et l'énergie produite par cette même quantité de biocarburant. La différence représente le bilan énergétique. Le problème tient au fait que les plantes qui servent au biocarburant génèrent des co-produits : le colza dégage des tourteaux pour l'alimentation animale, le blé dégage des drêches.

Or, la transformation de ces co-produits nécessite de la consommation énergétique. Comment comptabiliser cette consommation énergétique des co-produits ? Si, par exemple, on fait complètement abstraction de la consommation énergétique des co-produits, le bilan des biocarburants est très positif mais ce bilan ne correspond pas à la réalité puisque cette consommation dérivée existe bien.

L'ADEME opte pour une approche dite « comptable » ou « d'imputation massique ». Elle considère que la clé de répartition des consommations énergétiques est fonction des quantités de co-produits et de biocarburants obtenus. En fait, elle adopte une règle de décision primaire : elle pèse la quantité obtenue de co-produit et la quantité obtenue de biocarburant et détermine de cette façon l'imputation. Par exemple, elle affecte 57 % de la consommation d'énergie aux co-produits du blé et 43 % à l'éthanol.

Les chercheurs de l'INRA préfèrent quant à eux l'approche dite « systémique » développée par une équipe de chercheurs américains dans un rapport remis au ministère de l'agriculture des Etats Unis (4). Dans ce cas, il est considéré que l'objectif essentiel de cette culture est la production de biocarburant. La production de co-produits n'est que la conséquence de la production de biocarburant.

Prenons l'exemple du biodiesel et du colza dont le co-produit est le tourteau pour alimentation animale. Il est affecté pour ce co-produit la consommation d'énergie qui serait normalement utilisée si on voulait produire dans des conditions classiques la même quantité de nutrition animale (souvent il s'agit de soja). L'affectation est alors la suivante : la consommation d'énergie du biocarburant est la consommation d'énergie totale de cette filière (biocarburant plus co-produit) moins la consommation d'énergie pour une production équivalente de nutrition animale.

Avec cette clé, il en résulte une plus grande affectation de la consommation d'énergie au biocarburant que ne le fait la méthode de l'Ademe. Il est à noter qu'un récent rapport effectué pour l'Union européenne reprend cette méthodologie systémique, ce qui renforce considérablement sa crédibilité (5).

Pour finir ce passage en revue, citons un tout récent document de l'Ambassade de France aux Etats Unis sur le développement des biocarburants dans ce pays. Celui ci passe en revue toutes les études scientifiques réalisées : six présentent un bilan énergétique favorable, quatre un bilan défavorable. Le rapport note aussi « que l'étude qui fait référence à ce jour, publiée dans la célèbre revue scientifique Science, compile et compare six de ces études (...). Elle annonce une balance énergétique positive. Mais les conditions rencontrées pour la production peuvent parfois différer fortement de celles considérées dans cette étude si bien que des schémas de production restent suspects d'être bien moins rentables que les conditions expérimentales prises en compte ». (6)

Enfin, du point de vue des émissions à effet de serre, les récentes études américaines confirment la supériorité du biodiesel sur l'éthanol : le premier diminue les émissions de 59%, ce qui est substantiel, le second de seulement 14 %.

En guise de conclusion, il faut tout de même constater que le diesther, ou biodiesel, bénéficie quoiqu'il arrive d'un bilan énergétique et écologique significativement positif, ce qui n'est pas le cas de l'éthanol. Une hiérarchisation entre ces deux types de biocarburants semble donc s'imposer. (7)

- Le bilan écologique de l'Ademe n'intègre pas la question de la ressource aquatique

Les bilans écologiques proposés par l'Ademe présentent une autre carence : ils n'intègrent pas les conséquences agro-environnementales de la production de biocarburants. En effet, le développement des biocarburants amène nécessairement à devoir développer des surfaces de céréales (blé, maïs) et d'oléagineux qui auront un impact sur la ressource aquatique.

Sur ce point, les biocarburants peuvent représenter le meilleur comme le pire. Le meilleur car ils pourraient aider à promouvoir les cultures oléagineuses et donc à diversifier les cultures dans les régions où la spécialisation sur le blé ou le maïs pose de graves problèmes en terme de pollution ou de pénurie d'eau.

Le grand rapport que l'INRA vient de consacrer au thème « sécheresse et agriculture » (8) estime que « le développement des cultures énergétiques est une opportunité pour le colza et le tournesol (filière biodiesel) que l'on peut considérer comme positive pour l'économie d'eau(...). Le sorgho a également une carte à jouer dans le cadre du plan gouvernemental sur les énergies renouvelables ».

Mais, les biocarburants peuvent aussi représenter le pire s'ils amènent à développer les cultures céréalières dans des régions qui sont déjà trop spécialisées. L'Institut français de l'environnement présente parfaitement ce revers de la médaille : « Avec des objectifs renforcés, les biocarburants seront en demande croissante. Leur culture, si elle devient plus intensive, pourrait paradoxalement induire un impact négatif sur l'environnement. Une trop forte utilisation d'engrais et de pesticides dans la conduite des cultures énergétiques et un renforcement de l'irrigation augmenteraient les impacts négatifs de l'agriculture sur la biodiversité, la qualité des sols et la ressource en eau. Ce risque pourrait affecter notamment les grandes plaines céréalières où les zones de jachère atténuent actuellement ces pressions ».

- Le réel potentiel des biocarburants : la seconde génération à partir de la biomasse

Il existe un débat assez important sur le type de végétal qu'il faudrait utiliser pour fabriquer des biocarburants. De nombreux scientifiques et responsables publics estiment que nous faisons face à deux générations de biocarburants : la première est constituée de carburants à base de céréales ou d'oléagineux, la deuxième consiste à fabriquer ces carburants à partir de la biomasse.

Précisons d'emblée que la biomasse n'est pas une alternative au biocarburant, elle est un moyen de produire du biocarburant. Elle consiste à utiliser l'ensemble du végétal pour cette production alors que la génération actuelle de biocarburant ne prend qu'une partie du végétal. Pour cette raison, la voie de la biomasse présente un potentiel nettement plus important. Elle est aujourd'hui techniquement réalisable pour un nombre limité de végétaux non produits en France (la canne à sucre par exemple). Mais, à plus moyen terme, il devrait être possible de développer dans notre pays le biocarburant à partir de la biomasse.

L'INRA incline ainsi à porter l'effort sur la biomasse qui est déconnectée des grandes cultures : « finalement les résultats énergétiques et économiques des biocarburants ne sont pas suffisamment décisifs pour faire de ces énergies renouvelables une alternative autre que limitée à l'épuisement des ressources pétrolières. Dans ces conditions, comme aux Etats Unis, on fonde beaucoup d'espoir sur les biocarburants de seconde génération utilisant des ressources lignocellulosiques, co-produits et cultures. Ils pourraient en effet limiter les besoins en terre, améliorer les rendements énergétiques et bénéficier de coûts moins élevés ».

Sur le long terme, le Conseil Général des Mines accrédite aussi le scénario de la deuxième génération : « de nouvelles techniques de production de biocarburants auront vu le jour, qui pourront utiliser la plante entière (ndla : la biomasse), ce qui permettra d'excellents rendements à l'hectare, et qui fourniront un très bon carburant correspondant exactement aux besoins, ce qui n'est pas le cas de l'éthanol. Le coût de production de ces biocarburants ne sera sans doute pas inférieur aux coûts de productions actuels, mais en n'utilisant que la biomasse comme énergie de process, ils seront beaucoup plus efficaces dans la lutte contre l'effet de serre ».

Enfin, l'Agence internationale de l'énergie estime aussi que la biomasse présente un bien meilleur potentiel tant du point de vue du rendement énergétique que du bilan effet de serre.

Elle illustre cette perspective d'un point de vue économique : aux Etats Unis le coût de l'éthanol à base de peuplier était, en 2002, deux fois plus cher que l'essence et 25% plus cher que l'éthanol blé. Après 2010, il est estimé que l'éthanol de peuplier aura le même prix que l'essence et sera un tiers moins cher que l'éthanol de blé.

Dans cette lecture économique, il faut insister sur l'importance du timing de cette innovation et sur les effets d'irréversibilité qu'entraîne cette trajectoire d'innovation. Le rapport du ministère de l'Industrie formule des interrogations analogues : « Il serait problématique que d'importants investissements soient consentis par les producteurs de biocarburants actuels, alors que de nouveaux produits pourraient les concurrencer avant même que leurs investissements soient amortis ». Il y a donc un risque de verrouillage du marché au niveau de l'amont (le système agro-industriel voudra garder un approvisionnement en céréales par exemple).

Pour l'UFC Que Choisir, le plan de développement des biocarburants doit envisager très sérieusement l'hypothèse d'un basculement vers la seconde génération de biocarburants (biomasse). Cela implique un effort budgétaire en faveur de la recherche développement. Il faut aussi s'assurer que le système agricole et industriel soit capable de passer de la première à la seconde génération.

Le dispositif financier

- Le coût pour le consommateur est important

- L'avantage fiscal va octroyer une rente au producteur

- Le rapport coût/avantages est assez faible

- Le biocarburant coûte plus cher que le pétrole mais l'écart se réduit

Les chercheurs de l'INRA constatent que le point de rentabilité des biocarburants se situe à un niveau élevé : « Produire des biocarburants coûte cher : les biocarburants ne sont rentables face au pétrole que si celui-ci a un cours très élevé (au moins 70-80 dollars/baril) »

Le rapport du ministère de l'industrie suggère même des hypothèses de rentabilité plus restrictives que l'INRA : « Il en ressort que, dans les conditions actuelles du marché français, le prix de revient de l'EMVH (i.e : biodiesel) à PCI équivalent, tel qu'il a été estimé par la mission devient compétitif pour un cours du baril de 75 dollars et celui du bioéthanol pour un cours du baril un peu supérieur à 90 dollars ».

Il faut donc être clair : en l'état, les biocarburants ne vont pas diminuer le prix payé à la pompe sauf en cas de très forte défiscalisation. Par conséquent, sur le court-moyen terme, le gain consumériste relève strictement du bilan environnemental, qui est incertain, et non pas du prix de revient.

Sur le long terme par contre on peut imaginer que les biocarburants contribueront quelque peu à la sécurité énergétique et à la maîtrise du prix du carburant. Quand le baril aura dépassé les 100 dollars, le biocarburant aura normalement un attrait économique.

- Les puissants avantages fiscaux accordés aux biocarburants

Afin de compenser l'écart de compétitivité entre le pétrole et le biocarburant, il a été logiquement octroyé un avantage fiscal à ce dernier. Le principal outil de soutien financier aux biocarburants est la défiscalisation de la TIPP. La loi de finance 2005 prévoit une défiscalisation de 33 centimes par litre pour le biodiesel et de 38 centimes par litres pour l'éthanol. Cette défiscalisation est tout à fait importante puisqu'elle représente la moitié de la TIPP sur l'essence et les trois quarts de la TIPP sur le gazole.

Il faut préciser que dans le cas, très majoritaire, d'incorporation partielle, la défiscalisation porte seulement sur la partie « biocarburant » du carburant. Par exemple, si de l'essence incorpore 10 % d'éthanol, il sera payé une TIPP de 55,2 centimes au lieu de 59 centimes pour de l'essence à 100 % fossile. Dans le cas d'une incorporation forte, à 85 % par exemple, la défiscalisation a un effet radical puisqu'elle diminue de plus de 30 centimes le prix du litre.

La loi de finances est venue ajouter une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) payable au niveau du carburant fossile. La TGAP est payée par le distributeur qui logiquement la répercute sur le consommateur. Le taux de TGAP augmente progressivement de 2005 à 2010. Il va engager 1,03 centimes par litre d'essence et 0,88 centimes par litre de gazole en 2005, puis 4,94 centimes par litre d'essence et 4,25 centimes par litre de gazole en 2010.

Très concrètement, par cette TGAP, le consommateur va voir le prix de son litre de carburant fossile être augmenté de 3 à 4 % (selon l'évolution du prix TTC).

Le redevable peut déduire cette taxe s'il justifie d'une incorporation des biocarburants. La déduction de la TGAP est proportionnelle à l'intégration des biocarburants dans le produit.

Cette mesure vient donc inciter le distributeur, et, indirectement le consommateur à préférer un produit qui incorpore du biocarburant. La TGAP est donc une écotaxe en faveur des biocarburants qui est payée par le consommateur quand il achète du carburant fossile.

- Le dispositif fiscal a été conçu avec un baril à 20 ou 30 dollars

Comme l'indique l'INRA, le problème fondamental du dispositif fiscal est que « pour les rendre compétitifs face au pétrole, les biocarburants bénéficient d'une exonération partielle de la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers). Cependant, cette exonération calculée pour permettre aux biocarburants d'être rentables quand le prix du pétrole était de 15 à 20 dollars/baril est actuellement plus élevée que nécessaire ».

Avec un baril à 20 ou 30 dollars, les biocarburants étaient très loin d'être rentables et il fallait donc leur procurer un important avantage fiscal pour aider la filière à démarrer.

Par la suite le cours du baril s'est installé, de façon semble-t-il structurelle, entre 50 et 75 dollars. Comme l'avantage fiscal n'a pas été revu, il est désormais bien trop important.

Le différentiel de prix entre le carburant fossile et le biocarburant

Coût de production du biocarburant Par hectolitre (1) Hors TVA

Coût de production du carburant d'origine fossile par hectolitre (2) Hors TVA

Différentiel (1) - (2)

Ester gazole

Prix de base

55

32 (diesel)

+23

TIPP

9

42 (diesel)

-33

Total

64

74 (diesel)

-10

Ethanol

Prix de base

50

26 (essence)

+24

TIPP

22

59 (essence)

-37

Total

72

85 (essence)

-13

ETBE

Prix de base

39

26

+13

TIPP

41

59

-18

Total

80

85

-5

Source ministère de l'Industrie

En se fondant sur un baril à 37 dollars, le ministère de l'Industrie propose ainsi le tableau ci-dessus qui compare d'abord le prix de revient des différents biocarburants avec le carburant d'origine fossile.

Par exemple, l'ester de gazole, ou biodiesel, coûte 55 euros par hectolitre contre 32 euros pour du gazole classique. Ce dernier a donc un avantage de coût de 23 euros par hectolitre. On ajoute ensuite la TIPP qui est de 9 euros par hectolitre pour le biocarburant qui coûte donc 64 euros à l'hectolitre. Pour le gazole « pétrole », la TIPP est de 42 euros à l'hectolitre soit un coût total de 74 euros. Grâce à l'avantage fiscal, l'ester de gazole présente un prix moins élevé à hauteur de 10 euros par hectolitre (soit 10 centimes au litre).

Pour des raisons similaires, l'éthanol et l'ETBE coûtent moins cher que l'essence.

Il faut souligner que le calcul du ministère de l'Industrie se fonde sur un baril à 37 dollars. Le prix du baril se situant maintenant aux alentours de 60 dollars, l'avantage fiscal accordé aux biocarburants n'en est que plus renforcé.

Pour conclure, il est indéniable que l'avantage financier accordé aux biocarburants surpasse très largement le différentiel de rentabilité qui s'est amoindri avec la hausse du cours du baril. On peut même affirmer que la défiscalisation est l'élément central du modèle économique français des biocarburants.

Il faut aussi souligner que dans la mesure où la desfiscalisation TIPP apporte déjà un net avantage concurrentiel au biocarburant, la mise en place d'une TGAP a peu de justification. En effet, les objectifs de l'incitation fiscale pour la voie supposée écologique sont déjà plus qu'atteints par la défiscalisation. Ajouter un deuxième étage par une ponction de TGAP sur les consommateurs ne fait qu'accroître la rente des producteurs de biocarburants.

- Une dépense collective très élevée et surtout assumée par le consommateur

L'incitation fiscale accordée aux biocarburants est loin d'être neutre : la défiscalisation de la TIPP vient grever le budget de l'état et la mise en place de la TGAP vient diminuer le pouvoir d'achat du consommateur. Il convient donc de mesurer le rapport coût/avantage de cet investissement.

Estimation des incitations financières mises en place à l'horizon 2010

Aux conditions économiques de juin 2005

Volumes prévisionnels (en m3)

Déduction TGAP (euros/m3)

Montant défiscalisation (euros/m3)

Efforts demandés aux consommateurs (Millions d'euros)

Efforts demandés aux contribuables (Millions d'euros)

biodiesel

2 759 000

680

330

1876

910

Ethanol

972 000

560

370

544

359

Total

3 731 000

1240

700

2 420

1 269

Source : ministère de l'Industrie

Le rapport du ministère de l'Industrie propose une projection du coût pour la collectivité en 2010 si l'objectif des 7 % d'incorporation était atteint (cf. tableau ci-avant).

On constate que l'effort consenti est très important : il est pris chaque année

2,4 milliards sur le budget des consommateurs et 1,2 milliard sur le budget de l'Etat.

Du point de vue de l'UFC Que Choisir le schéma fiscal en faveur des biocarburants est très défavorable au consommateur et peut se présenter de la façon suivante :

- L'Etat accorde une manne financière à la filière biocarburants et au consommateur de biocarburant par la défiscalisation de la TIPP

- L'Etat comble ce trou budgétaire en appliquant une taxe sur les consommateurs, taxe qui a aussi une vocation écologique. Collectivement, les consommateurs devraient payer une taxe (2 milliards) près de deux fois supérieure à la défiscalisation qui est accordée sur l'achat de biocarburant.

- Au final, la filière biocarburants se voit attribuer une manne, l'Etat fait une opération à peu près neutre, et le consommateur de carburant est ponctionné.

Sur la question de la taxation des carburants, la position de l'UFC Que Choisir consiste à ne pas demander de baisse des taxes à condition qu'une partie de ces recettes fiscales soit affectée à des investissements en faveur de la réduction de la dépendance pétrolière (transports en commun, moteurs économes, fret ferroviaire).

Dans le cas présent, il s'agit d'accroître la taxation des carburants et l'UFC Que Choisir y est globalement défavorable. Alors même que le prix du carburant a flambé depuis trois ans, et que celui ci fait déjà l'objet d'une taxation supérieure à la moyenne européenne, tout nouveau prélèvement aurait un impact trop négatif sur le pouvoir d'achat.

Cependant, comme cette fiscalité a une vocation écologique, il convient de ne pas la rejeter d'emblée et d'en examiner plus précisément ses implications.

- L'avantage fiscal renforce les possibles rentes monopolistiques

Le rapport du Ministère de l'Industrie alerte sur les « distorsions de marché » que peut induire le système actuel des biocarburants.

Il est évident que « si l'avantage relatif accordé par la défiscalisation excède largement le différentiel de prix du biocarburant par rapport au carburant fossile, la concurrence par les prix ne pourra pas jouer efficacement entre les producteurs agréés et non agréés ». En d'autres termes, le producteur de biocarburant agréé peut profiter de l'avantage fiscal pour majorer son prix de vente par rapport à son prix de revient et constituer une rente de monopole.

Le rapport s'appuie sur un exemple factuel important. Il apparaît que, suite à la mise en place de la TGAP en 2005, le prix du biodiesel a soudainement grimpé laissant aux producteurs une très forte marge :

« La société Diester industrie, qui bénéficie en 2005 de 90 % des agréments de fabrication d'ester en France, a pu proposer à tous ses clients une hausse significative du prix de l'ester par rapport au prix habituellement facturé. Le prix de vente ainsi fixé excédera significativement le prix d'équilibre de fabrication du biocarburant. Compte tenu de la répercussion de la TGAP par ses clients sur le prix à la pompe, il restera néanmoins à ceux-ci une marge confortable ».

Cette rente de monopole peut être accentuée par une multitude de facteurs qui sont avancés par le même rapport. Par exemple, si l'organisation de la production d'un biocarburant est très intégrée à un système étroit de coopératives agricoles, elle peut constituer un monopole d'achat ou de vente dépendant des producteurs agricoles nationaux. La rente attribuée à certaines filières agricoles entraînerait alors une augmentation artificielle des prix agricoles et du prix du biocarburant. Ou encore, comme la défiscalisation concerne les producteurs nationaux, l'impact de cette barrière douanière empêchera que la concurrence européenne et internationale puisse jouer aisément sur les prix intérieurs.

Ces rentes monopolistiques pourraient donc faire apparaître une situation très difficile pour le consommateur : la défiscalisation TIPP du biocarburant serait en bonne partie captée par une augmentation de la marge du producteur et profiterait peu au consommateur. Ce dernier se verrait alors appliquer une taxe nouvelle sur le carburant, la TGAP, et retirerait peu d'avantage financier de la défiscalisation du biocarburant. Au final, il y a une ponction sur les consommateurs qui pourrait dépasser le milliard d'euros par an à l'horizon 2010.

Le rapport du ministère de l'Industrie souligne parfaitement ce risque de « hold up » sur le portefeuille des consommateurs :

« S'il se révélait que le poids de la TGAP était répercuté sur le consommateur par les redevables, sans que celui-ci ne bénéficie des déductions d'impôt imputables à l'incorporation de biocarburants, on perçoit l'ampleur de la niche fiscale ainsi créée en faveur du développement des biocarburants et les questions que pourraient soulever le cumul des deux dispositifs pour le contribuable/consommateur dans un contexte où le prix du pétrole augmente fortement ».

- Cet avantage fiscal est-il au moins efficace d'un point de vue écologique ?

Il reste que l'on peut estimer que ce dispositif vise à promouvoir la consommation d'énergie renouvelable que sont les biocarburants. Les consommateurs devraient donc faire un effort financier en faveur du développement durable.

Cependant, même dans cette logique, le dispositif fiscal apparaît comme démesuré.

L'INRA propose par exemple un bilan très nuancé de l'efficacité de cet investissement :

« Dans un modèle de calcul global tenant compte des dépenses de l'Etat (soutien aux cultures, exonération de la TIPP), du PIB de l'industrie des biocarburants et du gain de revenu des agriculteurs, le bilan coûts-avantages de la filière calculé pour 2010, avec un prix du pétrole estimé à 65 dollars/baril, est proche de zéro. Si l'on tient compte de la valeur monétaire attribuée aux réductions des émissions de CO2 (20 euros/tonne CO2), le bilan devient légèrement positif. Cependant, cette valeur qui représente actuellement le bénéfice environnemental des biocarburants pourrait être plus élevée si l'on savait chiffrer les dommages réels des gaz à effet de serre ».

Le constat du rapport du ministère de l'Industrie se veut encore plus critique : « il apparaît que l'effort budgétaire envisagé au seul titre de la défiscalisation est tout à fait considérable au regard des 2 millions d'hectares concernés et des quelques 7 millions de tonnes économisées : 50 000 euros par emploi créé ou maintenu dans les hypothèses les plus optimistes, 600 euros par hectare concerné, 180 euros par tonne de CO2 économisé (9)»

Sur ce point, l'UFC Que Choisir a toujours été favorable à l'utilisation de la fiscalité écologique pour promouvoir le développement durable. Dans ce sens, elle propose de ne pas réduire la ponction fiscale sur le carburant et propose que de 3 à 10 % de la TIPP soit affecté aux investissements visant à réduire la consommation de pétrole.

En soi, il peut être soutenu l'idée que cette « dépense » pour les biocarburants vient soutenir une alternative au pétrole ce qui justifie sa mise en oeuvre. Il reste que cette dépense représente de fait un coût d'opportunité : ce qui est dépensé pour les biocarburants ne l'est pas pour d'autres segments de la réduction de la dépendance au pétrole.

Par le biais de la défiscalisation, l'Etat va ainsi dépenser de fait 1,2 milliards d'euros par an soit l'équivalent de 8 % des dépenses totales en faveur des transports collectifs urbains et environ un tiers de l'investissement annuel dans ces transports de proximité.

Sur ce point encore, il pourrait être estimé qu'il faut développer conjointement les biocarburants et l'offre de transport en commun. Mais, quand on tient compte de la situation budgétaire, on sait qu'un surplus de dépenses de plus d'un milliard d'euros pour les biocarburants rend difficile l'amélioration du budget des transports collectifs. Il est d'ailleurs très contestable que l'Etat ait cessé de cofinancer les projets de transports en commun des collectivités locales depuis 2004 et que, d'un autre coté, il accorde de tels avantages fiscaux aux biocarburants.

Pour donner un autre ordre de grandeur, l'UFC Que Choisir propose un Plan Marshall pétrole qui engagerait au maximum 3 milliards d'euros par an (2 milliards de recettes TIPP et un milliard de taxes sur les compagnies pétrolières), ce qui représente un montant assez ambitieux. Si on suivait le plan gouvernemental, l'avantage fiscal pour les biocarburants absorberait à terme plus d'un tiers du plan Marshall pétrole ce qui laisserait peu de marges de manoeuvre pour les transports en communs, les voitures économes, le fret ferroviaire ou la recherche développement.

Par ailleurs, les consommateurs sont soumis à une écotaxe tout à fait substantielle : 2,4 milliards d'euros ce qui, par exemple, est sensiblement plus élevé que le montant total des redevances des consommateurs aux agences de l'eau (1,5 milliard environ) ou qui est aussi un peu plus élevé que la somme payée pour la gestion des déchets d'emballages (entre 1,5 et 1,8 milliard d'euros).

Là encore le calcul économique ne serait pas forcément très positif : si on affectait 2,4 milliards d'euros par an aux transports collectifs, au moyen d'une taxe carbone par exemple, ou si on accordait 2 milliards de crédits d'impôts pour l'achat de moteurs économes, la diminution de la consommation de pétrole serait probablement supérieure à ce que peut apporter l'incorporation des biocarburants.

Ces éléments montrent que le plan de développement des biocarburants du gouvernement correspond assez peu à une volonté efficace de diminuer la dépendance pétrolière des ménages français. Sauf à considérer un très hypothétique « big bang budgétaire », qui apporterait un flux financier inespéré pour la réduction de cette dépendance, le plan actuel de développement des biocarburants risque d'assécher d'autres leviers d'actions qui sont aussi ou plus importants.

L'UFC Que Choisir considère que le schéma d'incitation fiscale pour les biocarburants est très insatisfaisant car elle induira avant tout une rente pour le producteur qui sera donc rémunéré sans raison par le consommateur et le contribuable.

De plus ces mesures sont trop importantes au regard des bénéfices que procurent l'incorporation de ce type de produit et démesurées au regard des besoins de financement d'autres segments de l'alternative au pétrole (transports en commun, ferroutage etc).

L'UFC Que Choisir demande que cette incitation fiscale, tant sur la défiscalisation de la TIPP que sur la mise en place TGAP, soit globalement diminuée. Nous reprenons ainsi la préconisation du rapport du ministère de l'Industrie qui propose de diviser par plus de 3 la défiscalisation (10 centimes par litre au lieu de 33 ou 38 centimes par litre).

Les taux de défiscalisation, tout en étant globalement divisés par trois, doivent être modulés par type de végétaux selon leur bilan énergétique et leur impact sur la ressource aquatique.

Il est ainsi demandé d'accorder une défiscalisation plus importante au colza, au tournesol et au sorgho relativement au blé, au maïs et à la betterave. Nous pouvons ainsi proposer que la défiscalisation représente 18 centimes au litre pour les biodiesel (oléagineux) et 10 centimes au litre pour l'éthanol (céréales). Concrètement, cela permettrait au biodiesel de se développer dès maintenant tandis que l'éthanol devrait attendre au minimum quelques années pour être rentable grâce à l'arrivée de la seconde génération et à la probable augmentation du prix du baril.

Concernant la TGAP, l'UFC Que Choisir préconise de la faire passer de 4,9 centimes d'euros au litre à un maximum de 2,5 centimes au litre.

Il faut préciser que nos revendications dans le domaine fiscal rejoignent peu ou prou celles du rapport du ministère de l'Industrie. Le conseil général des Mines a calculé qu'avec ce niveau fiscal « corrigé », les industriels du biocarburant garderaient une marge de 20 % sur leur activité ce qui reste très confortable. Pour l'année 2010, d'application pleine, le paiement des consommateurs pour la TGAP diminuerait d'un milliard d'euros environ relativement à ce qui est planifié par la loi de finances.

Envisager l'importation d'éthanol en provenance du Brésil

- L'éthanol brésilien est bien moins cher que l'éthanol européen

La production d'éthanol au Brésil présente un coût de revient bien moindre que la production européenne.

L'Agence internationale de l'énergie et l'Institut français du pétrole proposent ainsi le tableau comparatif des coûts de revient de l'éthanol dans les différentes zones du monde :

Coûts de production des biocarburants dans le monde en 2004

Ethanol Europe

Ethanol Brésil

Ethanol USA

Biodiesel Europe

coût

0,4-0,5 euros/l

0,23 euros/l

0,38* euros/l

0,35 - 0,65 euros/l

Prix ramené en euros par nos soins (hypothèse : un euro = 1,25 dollar). Source: AIE/IFP

A priori les coûts de transports changent peu les comparaisons finales. L'agence internationale de l'énergie estime en effet que le transport de l'éthanol par l'océan coûte entre 1 et 3 centimes au litre. L'écart est donc tout à fait substantiel : le consommateur français gagnerait 20 à 30 centimes au litre s'il consommait de l'éthanol brésilien plutôt que de l'éthanol français. Ramené au prix TTC de l'essence fossile, cela représente environ une différence de 15 à 20 % sur le prix.

Le rapport du ministère de l'Industrie signale d'ailleurs que certains pays, comme le Brésil, « commencent à exporter leurs produits vers l'Europe et envisagent de forts débouchés à l'exportation ».

Pour l'instant la compétitivité de la filière française est seulement assurée par la défiscalisation qui a priori ne devrait s'appliquer qu'aux producteurs agréés français : le différentiel de 30 centimes entre l'éthanol brésilien et français est compensé par l'avantage fiscal de 33 à 38 centimes.

Comme nous l'avons montré, cet avantage fiscal risque de se traduire par une rente monopolistique pour le producteur français. En diminuant cet avantage, cela permettrait de pouvoir importer de l'éthanol à base de canne à sucre ce qui introduirait une nette concurrence.

Le consommateur français pourrait donc bénéficier d'un biocarburant à un prix raisonnable sans mobiliser des coûteuses mesures fiscales.

Pour une association de consommateurs, il est difficile d'éluder ce constat : nous gagnerions en pouvoir d'achat en nous approvisionnant à partir de l'éthanol brésilien.

- Les objections au recours massif à l'importation

Une première objection peut être facilement levée : produire du biocarburant français concours à notre sécurité énergétique, il ne faudrait pas dépendre du Brésil. En réalité produire 10 % du carburant en France ne représente pas une sécurisation (il faudrait atteindre au grand minimum 30 à 40 %). Dans ce domaine, l'objectif recherché est la diversification géographique des sources d'approvisionnement : l'éthanol brésilien est bien une diversification par rapport à l'approvisionnement en pétrole des pays de l'OPEP ou de la Mer du Nord.

Un autre argument, plus précis d'un point de vue factuel, renvoie à une certaine responsabilité environnementale. On peut imaginer qu'une production massive d'éthanol au Brésil à des fins d'exportation occasionnerait une augmentation des surfaces cultivées et des rendements. Cette croissance des cultures pourrait engendrer une forte pression sur les ressources aquatiques brésiliennes. Sous ce raisonnement, importer de l'éthanol reviendrait à accroître les problèmes de pénurie d'eau au Brésil et à consommer du biocarburant sans en supporter les tensions environnementales.

Cet argument présente tout de même quelques faiblesses. Tout d'abord, le rapport de l'Agence internationale de l'énergie atteste que le bilan à effet de serre et le rendement énergétique de l'éthanol à base de canne à sucre est très nettement supérieur à celui de l'éthanol céréales. Ensuite, il n'est pas si évident que l'augmentation de la production de canne à sucre génère des problèmes du point de vue de la ressource aquatique car il s'agit d'une culture pérenne.

Il reste que l'UFC Que Choisir n'a pas la capacité d'évaluer pleinement cet aspect. Nous demandons donc qu'un bilan écologique complet soit réalisé sur la production de biocarburant à base de canne à sucre. Ce bilan conditionnera l'acceptation d'un approvisionnement français.

L'UFC Que Choisir estime que l'importation d'éthanol semble positive car elle permettra de baisser le prix des biocarburants, de diminuer l'effort fiscal de la collectivité et parce que ce produit présente un rendement énergétique plus élevé que celui de l'éthanol européen. Cette recommandation reste tout de même conditionnée à la réalisation d'un bilan écologique global de l'éthanol importé et d'une étude sur l'impact local de la production massive de canne à sucre au Brésil.

Conclusion générale

L'analyse détaillée des biocarburants a listé une série importante de réserves et de critiques qui pourraient sembler rédhibitoires.

Il convient de rappeler deux points fondamentaux :

- A court et moyen terme, les biocarburants pourraient nous permettre de diminuer de quelques pour cent notre consommation de carburant fossile ce qui, sur une consommation aussi peu élastique, est tout à fait significatif.

- Sur le long terme, il est fondamental d'envisager toutes les options alternatives au pétrole. Les biocarburants en sont une. A l'heure actuelle, les solutions proposées sont certes très contestables mais la seconde génération devrait s'avérer plus prometteuse. En tout état de cause, l'enjeu est trop important pour ne pas s'intéresser à cette solution et ne pas y consacrer un investissement collectif.

Pour ces deux raisons, l'UFC Que Choisir considère les biocarburants comme une voie d'avenir qui mérite la mise en place d'un dispositif de promotion et de recherche par les pouvoirs publics.

Ceci étant dit, la nécessité de réduire notre dépendance au pétrole ne doit pas non plus cautionner des initiatives qui peuvent s'avérer inefficaces du point de vue économique et environnemental.

Notre première grande conclusion est qu'une large préférence doit être accordée au biodiesel, que l'on produit en France, et à l'éthanol à base de canne à sucre, que l'on produit au Brésil. L'éthanol de première génération que l'on produit en France cumule de nombreux désavantages : bilan écologique et énergétique au mieux très incertain, impact négatif sur les ressources en eau et plus faible rentabilité économique.

Ensuite, deux critiques importantes peuvent être adressées à la politique du gouvernement.

1- Replacer la problématique du biocarburant dans les grands équilibres de la politique énergétique

La réduction de la dépendance pétrolière implique de jouer sur une multitude de leviers : transports collectifs, moteurs économes, fret ferroviaire, renouvellement de l'habitat pour diminuer le chauffage au fioul, recherche et développement etc. Pour résumer, il n'y a pas une solution miracle et il faut jouer sur tous les tableaux. Le seul développement des transports en commun ne suffit pas, tout comme la seule défiscalisation des moteurs économes ne constitue une réponse satisfaisante.

Les biocarburants doivent donc être considérés comme l'une des rivières qui vient grossir le vaste fleuve de la réduction de la dépendance pétrolière. Ni plus mais ni moins.

Or, l'analyse du dispositif public montre que, pour promouvoir les biocarburants, il est consacré des montants financiers très importants, notamment du point de vue du budget des ménages.

D'un autre coté, on constate que d'autres « rivières » de la réduction de la dépendance sont délaissées par les pouvoirs publics. Il s'agit par exemple du transport collectif urbain et du fret ferroviaire.

Dès lors, la politique gouvernementale est marquée par un profond déséquilibre : on concentre tous les efforts sur les biocarburants, alors même qu'il y a incertitude scientifique, et on délaisse des options dont l'intérêt est assez évident.

Le gouvernement doit donc rectifier le tir. Globalement, il faut mettre plus d'argent dans la réduction de la dépendance au pétrole et, au sein de cette enveloppe, il faut réduire les avantages accordés aux biocarburants pour accroître les efforts dans d'autres domaines.

2- La cacophonie scientifique sur les biocarburants pose un sérieux problème

Nous avons présenté les multiples controverses scientifiques qui animent ce sujet : quel est le véritable rendement énergétique ? La première génération en vaut-elle la peine ? Quel sera l'impact sur la ressource aquatique ?

En soi, l'UFC Que Choisir n'a pas développé d'expertise qui lui permet d'avoir un point de vue autonome sur le sujet. Il reste que les contradictions qui existent entre les expertises de l'Ademe, de l'Ifen, de l'Inra, des Mines et de la littérature scientifique sont trop importantes pour avoir un point de vue définitif sur la question.

Il est donc essentiel de réduire cette incertitude notamment quand on s'apprête à consacrer des sommes aussi importantes sur ce secteur. De ce point de vue, le gouvernement doit sortir de sa position exagérément optimiste pour relancer la recherche dans ce domaine et proposer des conclusions scientifiques plus équilibrées qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Si ces deux critiques ne sont pas prises en compte, l'UFC Que Choisir ne pourrait raisonnablement pas soutenir l'actuel plan de promotion des biocarburants.

Annexe 1

L'autre angle mort du bilan écologique : La question de la spécialisation des cultures et de la protection de l'eau

Les bilans écologiques proposés par l'Ademe présentent une grave carence : ils n'intègrent pas les conséquences agro-environnementales de la production de biocarburants.

En effet, le développement des biocarburants amène nécessairement à devoir développer des surfaces de céréales (blé, maïs) et d'oléagineux. Ce développement des cultures aura un impact sur la ressource aquatique. Il convient donc de faire le point sur ce sujet.

En 2004, 300 000 hectares ont été consacrés aux biocarburants dont 87 % au colza. L'Institut français de l'environnement estime que, pour atteindre un taux d'incorporation de 5 %, il faudra mobiliser 1 million d'hectares. Sur cette base, une incorporation de 10 %, qui est l'objectif prévu par la France, engagerait 2 millions d'hectares.

Il est parfois estimé qu'il n'y aura pas d'augmentation des surfaces cultivées et qu'il n'y aura pas non plus de concurrence entre les surfaces alimentaires et les surfaces non alimentaires.

Pour soutenir ce raisonnement, il est souvent proposé que les cultures destinées à l'énergie soit effectuées sur les terres mises en jachère qui représentent environ 1,5 million d'hectares.

L'UFC Que Choisir n'accepte pas cette proposition. Si la jachère visait dans un premier temps à réguler le niveau de production elle a, dans un deuxième temps, montré son intérêt environnemental (protection des points de captages d'eau notamment). Il n'est donc pas envisageable de cultiver la jachère à partir de productions souvent polluantes en pesticides et en nitrates.

L'INRA (10) démontre assez bien, qu'au-delà même de cette préoccupation écologique, il sera très difficile de mobiliser la jachère. Dans son modèle de calcul « une partie importante des surfaces en jachère n'est pas mobilisée pour la culture de colza non alimentaire pour les raisons suivantes : contrainte de 30 % de colza au maximum dans les rotations, 30 % de la jachère est considérée comme inexploitable et 34 % des producteurs sans expérience en matière de colza sont écartés de la production. »

Pour ces différentes raisons, nous soutenons donc l'idée que l'essentiel des deux à trois millions d'hectares doivent se traduire par une augmentation des surfaces cultivées.

Cette croissance de la production appelle à deux remarques :

- A un niveau national : la culture de biocarburants représente une part modérée de la surface agricole utile française

Deux à trois millions d'hectares représentent environ 8 à 12 % de la surface agricole utile française (25 millions d'hectares). Si l'on se concentre sur les seules cultures céréalières, le développement de 300 à 600 000 hectares de blé et de maïs viendrait accroître de 4 à 7 % les surfaces en céréales. D'un point de vue national, il faut reconnaître que la croissance des surfaces est donc modérée.

- Le problème central : le risque de spécialisation locale des cultures

Il est assez peu pertinent de rapporter les surfaces dédiées aux biocarburants aux surfaces nationales car l'impact des choix de production agricole obéit à des dynamiques régionales.

L'UFC Que Choisir a maintes fois souligné que la pression agricole sur l'eau provient, pour l'essentiel, d'une spécialisation des cultures à un niveau local, spécialisation qui amène par exemple une pollution très élevée dans les zones orientées vers le blé ou à une surconsommation d'eau dans les territoires dédiés à la culture du maïs irrigué. La priorité demandée par l'UFC Que Choisir est donc de réduire la spécialisation locale des productions.

Dans ce contexte, le grand rapport que l'INRA vient de consacrer au thème « Sécheresse et agriculture » (11) estime que « le développement des cultures énergétiques est une opportunité pour le colza et le tournesol (filière biodiesel) que l'on peut considérer comme positive pour l'économie d'eau (...). Le sorgho a également une carte à jouer dans le cadre du plan gouvernemental sur les énergies renouvelables ».

Le rapport souligne bien que les débouchés énergétiques procurés au colza, au tournesol et au sorgho pourraient aider à diversifier les cultures dans un sens favorable à la ressource aquatique. Sous cet angle, les biocarburants représentent une opportunité : si on met une usine à diesther dans le sud ouest, on favorise la reconversion du maïs irrigué vers des cultures économes en eau.

Mais il faut aussi envisager la perspective inverse : les biocarburants induisent un accroissement de la spécialisation de culture en blé ou en maïs et provoquent donc un surcroît de pression locale sur la ressource aquatique (pollution pour le blé, pénurie d'eau pour le maïs). Malheureusement, le développement des biocarburants s'oriente plutôt vers le scénario négatif.

En effet, les projets d'installation d'usine de biocarburants témoignent de ce renforcement de la spécialisation. Par exemple, il sera créé une usine à dominante éthanol de maïs à Lacq (Hautes Pyrénées) dans une région où l'intensité de cette culture n'est déjà plus compatible avec les disponibilités en eau. En juin 2005, les projets de nouvelle usine d'éthanol de blé étaient envisagés en Seine Maritime et dans la Marne, régions déjà très touchées par la pollution par les pesticides (12).

Devant ces constats théoriques et factuels, l'Institut français de l'environnement résume bien l'inquiétude que fait peser le développement des biocarburants sur la ressource aquatique :

« Avec des objectifs renforcés, les biocarburants seront en demande croissante. Leur culture, si elle devient plus intensive, pourrait paradoxalement induire un impact négatif sur l'environnement. Une trop forte utilisation d'engrais et de pesticides dans la conduite des cultures énergétiques et un renforcement de l'irrigation augmenteraient les impacts négatifs de l'agriculture sur la biodiversité, la qualité des sols et la ressource en eau. Ce risque pourrait affecter notamment les grandes plaines céréalières où les zones de jachère atténuent actuellement ces pressions ».

Annexe 2

La dépendance pétrolière des consommateurs : Le rappel essentiel

La facture pétrolière du consommateur explose

- La facture pétrolière française en 2005 : 31 milliards d'euros = 1,87 % du PIB

importation 2005 : 40336 millions d'euros

exportation 2005 : 8816 millions d'euros

Facture (Import - export) : 31520

Evolution 2004-2005 : +35,9 %

Evolution 1998-2005 : +287,5 %

(source : DGEMP)

On calcule une facture énergétique par un solde import - export (cf tableau ci dessus). Il apparaît que la facture pétrolière française s'élève à 31 milliards d'euros en 2005 contre 23 milliards en 2004, 18 milliards d'euros en 2003 et... 8 milliards d'euros en 1998 !

La facture pétrolière représente l'essentiel de la facture énergétique. Il intervient ensuite la facture gaz qui représente 7,7 milliards et qui est aussi en forte augmentation. L'électricité présente elle un solde positif de 2,4 milliards (exportations supérieures aux importations). La seule facture pétrolière représente 1,87 % du PIB et la facture énergétique totale (pétrole, gaz, électricité) compte pour 2,26 % du PIB.

Le tableau ci-dessous donne l'évolution de la facture énergétique en part du PIB sur 25 ans. Les données pour la seule facture pétrolière ne sont pas disponibles mais cette dernière représente de toute façon l'essentiel.

On constate que cette facture énergétique connaît un dérapage important depuis deux ans : elle passe de 1, 44 % du PIB en 2003 à 2,26 % en 2005.

Part de la facture énergétique dans le PIB:

1973 : 1,44 %

1997 : 1,03%

2003 : 1,44 %

2005 : 2,26 %

Source : DGEMP

- La facture pétrolière pèse lourd sur le pouvoir d'achat des consommateurs

La dépense domestique en 2004 pour le pétrole représente environ 32 milliards d'euros soit 4,2 % du budget d'un ménage. Pour donner un repère, la dépense en pétrole des consommateurs est près de deux fois supérieure à celle de l'électricité ou à celle des télécoms (qui représente chacune près de 2,2 % du budget d'un ménage). La facture pétrolière est donc un élément clé du budget domestique.

L'INSEE a aussi évalué le surcoût de la facture qui pèse sur les ménages. Ce surcoût mesure l'impact de la hausse du prix du pétrole sur le pouvoir d'achat. Dans sa note de conjoncture, l'INSEE calcule que le surcoût représente 200 euros pour chaque ménage sur l'année 2005, ce qui est très significatif. Sachant que le nombre de ménages se portait à près de 24 millions lors du recensement 1999, cela signifie que le surcoût supporté par les ménages français en 2005 est proche de 5 milliards d'euros.

Le consommateur est captif du pétrole car il est prisonnier du transport automobile

1- La dépendance pétrolière des consommateurs

Le graphique ci-dessous montre que la consommation finale de produit pétrolier en France est à peu près constante depuis 1970 : autour de 90 millions de tonnes équivalents pétrole (tep).

La forte hausse du prix du pétrole depuis le début de la décennie 1970 a effectivement amené des économies d'énergie et une stabilité de la consommation de pétrole malgré la croissance économique.

Cependant, cette stagnation globale de la consommation masque des évolutions différenciées selon les usages. En effet, le même graphique montre que deux catégories ont fortement diminué. Il s'agit, d'une part, de la consommation industrielle (dont la part est passée de 36 % à 23 % en trente ans) et, d'autre part, de la consommation de fioul pour le logement et les activités tertiaires. D'un autre coté, le transport a connu une forte croissance de la consommation (+ 96 % entre 1973 et 2004), croissance qui vient annuler les économies effectuées sur les autres usages.

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Consommation finale de produits pétroliers raffinés par secteur (1)

2- La consommation de pétrole des ménages est tournée vers le transport automobile

Le tableau ci dessous montre que la consommation énergétique du transport concerne en premier lieu le transport individuel (25 millions de tep) et, en deuxième lieu, le transport de marchandises avec 17 millions de tep.

Le transport individuel reste donc le poste prépondérant de consommation en France : il représente près de 30 % de la consommation totale de pétrole et la moitié de la consommation de pétrole par les transports.

D'un point de vue consumériste, cette prépondérance du transport routier est encore plus marquée. Ce poste représente la majeure part de consommation pétrolière des ménages (25 millions de tep) loin devant la consommation de fioul (9 millions de tep) et le transport aérien (6 millions de tep).

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Source : Ministère du Transport d'après CPDP

1. « Bilan énergétique et gaz à effet de serre des filières de biocarburants en France », septembre 2002.

2. « L'intérêt des biocarburants pour l'environnement », IFEN, novembre - décembre 2005.

3. « L'ambivalence des filières biocarburants », INRA sciences sociales, décembre 2005.

4. « Estimating the net energy balance of corn ethanol », USDA, ERS, Agricultural Economic report n°721, 1995.

5. « Weel to Wheels report 2004?, EUCAR, CONCAW, JRC, rapport pour l'Union européenne.

6. « Les biocarburants aux Etats Unis », septembre 2006.

7. Cette hiérarchisation ne constitue pas un satisfecit pour le diesel qui dégage de fortes émissions de micro-particules. Il s'agit simplement de prendre acte que de nombreux véhicules roulent au diesel et que, dans ce contexte, la substitution par le biodiesel présente un intérêt énergétique et environnemental.

8. « Sécheresse et agriculture » INRA expertise collective scientifique remise au Ministre de l'Agriculture en octobre 2006.

9. Pour comparaison, l'Agence internationale de l'énergie chiffre à moins de 20 euros le coût d'une tonne de CO2 économisée par l'incorporation d'éthanol à base de canne à sucre.

10. « L'ambivalence des biocarburants » ibid.

11. « Sécheresse et agriculture » INRA expertise collective scientifique remis au Ministre de l'Agriculture en octobre 2006.

12. Il est bien sûr entendu que, quand une usine éthanol s'installe dans la Marne, cela incite à développer des cultures céréales et betterave dans ce département.