Les marges de l'eau
Résultats de l'étude sur 31 villes
Publié le :
29/01/2006
L'étude de l'UFC - Que Choisir fait apparaître un résultat fondamental : les prix de l'eau des villes de plus de 300.000 habitants sont beaucoup trop élevés. Il est indéniable que les services des eaux constituent des profits inacceptables sur ces marchés.
SOMMAIRE
- 1. I - Prix et marges de l'eau : les résultats de l'UFC-Que Choisir
- 2. II - Commentaires du tableau de résultats
- 3. III - Les enseignements de l'étude :
- 4. - Les 144 communes du syndicat des eaux d'Ile de France : un préjudice de plus de 200 millions d'euros annuels
- 5. - Prix abusif et duopole : tout laisse croire à une absence de concurrence dans les grandes villes
- 6. - Régie publique versus délégataire privé : le débat ne peut pas être tranché
- 7. - La tarification de l'eau : où sont passées les économies d'échelles ?
- 8. - L'inégalité des coûts appelle à une réflexion sur la politique territoriale du prix
- 9. - Pourquoi obtient-on parfois un prix de revient plus élevé que le prix pratiqué ?
I - Prix et marges de l'eau : les résultats de l'UFC-Que Choisir
|
Prix facturédistribution |
Prix UFCdistribution |
Prix facturéassainissement |
Prix UFCassainissement |
Coefficientd'écart |
---|---|---|---|---|---|
Villes de plus de 300.000 habitants |
|||||
Strasbourg |
1,227 |
0,601 |
0,862 |
0,796 |
1,50 |
Nantes |
0,984 |
0,889 |
1,258 |
0,577 |
1,52 |
Lille |
0,963 |
0,928 |
1,206 |
0,671 |
1,35 |
Lyon |
1,299 |
0,643 |
0,755 |
0,541 |
1,73 |
Paris |
0,984 |
0,741 |
0,781 |
0,503 |
1,42 |
Ile de France |
1,468 |
0,580 |
1,226 |
0,506 |
2,48 |
Villes de 100.000 à 300.000 habitants |
|||||
Chambéry |
1,194 |
1,020 |
0,741 |
0,931 |
1,01 |
Annecy |
0,760 |
0,903 |
1,128 |
0,881 |
1,06 |
Brest |
1,330 |
1,156 |
1,301 |
1,081 |
1,17 |
Reims |
1,031 |
0,640 |
1,530 |
0,853 |
1,71 |
Angers |
1,076 |
0,656 |
0,922 |
0,670 |
1,51 |
Villes de 30.000 à 100.000 habitants |
|||||
Six fours |
0,957 |
1,203 |
1,009 |
1,057 |
0,86 |
Albi |
0,830 |
1,078 |
0,803 |
1,036 |
0,77 |
Laval |
1,043 |
0,983 |
0,948 |
1,159 |
0,93 |
Vannes |
1,279 |
0,900 |
0,866 |
1,164 |
1,04 |
Aurillac |
1,185 |
0,828 |
1,166 |
1,549 |
0,99 |
Beauvais |
0,884 |
0,952 |
0,562 |
1,860 |
0,51 |
Saint Raphaël |
0,990 |
0,539 |
0,924 |
0,522 |
1,8 |
Belfort |
0,930 |
0,840 |
1,500 |
0,989 |
1,32 |
Villes de moins de 30.000 habitants |
|||||
Breitenbach |
1,840 |
1,996 |
n.d |
4,085 |
0,92 |
Souillac |
0,820 |
1,570 |
1,070 |
1,422 |
0,63 |
Clamecy |
0,880 |
2,294 |
1,300 |
3,156 |
0,4 |
La Hague |
1,180 |
3,100 |
0,967 |
1,418 |
0,39 |
Juvisy |
1,468 |
1,185 |
1,226 |
0,917 |
1,26 |
Beausoleil |
1,631 |
1,085 |
0,805 |
1,368 |
0,99 |
Plérin |
1,833 |
1,624 |
1,525 |
2,042 |
0,91 |
Pontivy |
2,223 |
2,071 |
1,397 |
1,596 |
0,98 |
Montbrison |
1,846 |
1,254 |
n.d |
1,367 |
1,47 |
Château Gonthier |
2,112 |
1,990 |
0,628 |
1,698 |
0,74 |
Landernau |
1,588 |
1,929 |
1,384 |
1,271 |
0,92 |
Fleury Les aubrais |
1,750 |
1,189 |
1,147 |
1,689 |
1,01 |
|
Taux deMarge nette |
---|---|
Villes de plus de 300.000 habitants |
|
Strasbourg |
+ 33,1 % |
Nantes |
+ 34,6 % |
Lille |
+ 26,3 % |
Lyon |
+ 42,3 % |
Paris |
+ 29,5 % |
Ile de France |
+ 59,7% |
Villes de 100.000 à 300.000 habitants |
|
Chambéry |
0,1 % |
Annecy |
5,5 % |
Brest |
15,0 % |
Reims |
+ 41,7 % |
Angers |
+ 33,6 % |
Villes de 30.000 à 100.000 habitants |
|
Six fours |
- 15,9 % |
Albi |
- 29,4 % |
Laval |
- 7,5 % |
Vannes |
+ 3,8 % |
Aurillac |
- 1,1 % |
Beauvais |
- 48,5 % |
Saint Raphaël |
+ 44,5 % |
Belfort |
+ 24,7 % |
Villes de moins de 30.000 habitants |
|
Breitenbach |
- 8,4 % |
Souillac |
- 58,3 % |
Clamecy |
- 60,0 % |
La Hague |
- 110,4 % |
Juvisy |
+ 21,0 % |
Beausoleil |
- 0,1 % |
Plérin |
- 9,2 % |
Pontivy |
- 1,3 % |
Montbrison |
+ 32,0 % |
Château Gonthier |
- 34,5 % |
Landernau |
- 7,7 % |
Fleury Les aubrais |
+ 0,01 % |
II - Commentaires du tableau de résultats
Le tableau compare, pour notre panel de villes, le prix de revient hors taxe calculé par l'UFC Que Choisir et le prix hors taxe facturé par le délégataire ou la régie au consommateur. Nous indiquons à chaque fois le prix calculé et le prix facturé pour l'activité de distribution et pour l'activité d'assainissement.
Ensuite, nous comparons le prix facturé au prix calculé au moyen de deux indicateurs : le coefficient d'écart et le taux de marge nette sur chiffre d'affaires. Cette comparaison est effectuée à partir du prix total hors taxe (distribution + assainissement).
Le coefficient d'écart mesure la différence entre notre prix de revient calculé et le prix facturé. Un coefficient de 1,5 signifie que la commune facture 50 % plus cher que notre prix de revient. Ce type de calcul présentant toujours une marge d'erreur d'approximation, nous avons considéré qu'en dessous de 10 % (coefficient entre 0,9 et 1,1) l'écart entre le prix facturé et notre prix de revient était peu significatif.
Nous avons par ailleurs calculé le taux de marge sur chiffre d'affaires qui permet de comparer la rentabilité de ces contrats à celle d'autres activités. Ayant pris en compte l'intégralité des coûts (exploitation, investissements, charges financières) il s'agit bien d'une marge nette qui indique la part des profits réalisés sur l'exploitation d'un service des eaux.
La comparaison fait apparaître un résultat fondamental : les prix de l'eau des villes de plus de 300.000 habitants sont beaucoup trop élevés. Il est indéniable que les services des eaux constituent des profits inacceptables sur ces marchés.
Au sein de notre panel, le syndicat des eaux d'Ile de France (SEDIF) remporte de loin la palme du prix abusif. Le SEDIF présente un prix 2,5 fois plus élevé que notre estimation pour la distribution de l'eau.
Ensuite, la ville de Lyon facture un prix 1,7 plus élevé que notre prix de revient. Les villes de Strasbourg et de Nantes sont 1,5 fois plus chères que notre prix de revient. Paris et Lille présentent des écarts plus faibles, mais toujours trop important, avec un multiplicateur de 1,4 et 1,35.
Pour les villes de 100 000 à 300 000 habitants les résultats sont très contrastés. Certaines villes proposent des prix satisfaisants puisque très proches de notre calcul de coût de revient. Il s'agit d'Annecy et de Chambéry. La ville de Brest, avec un différentiel de 17%, se situe aussi à un niveau très acceptable. D'autres communes présentent des écarts extrêmement élevés : le prix de la ville de Reims est 1,7 fois plus cher que notre prix de revient et celui de la ville d'Angers 1,5 fois plus cher.
Si on s'intéresse au taux de marge nette sur chiffre d'affaires, les grandes villes se situent aux environs de 30 %, Lyon à 42 % et le SEDIF à près de 60 %. Ces taux de marges sont beaucoup plus élevés que la moyenne des activités économiques en France. Une étude de l'INSEE montre que, excepté pour la pharmacie , le taux de marge nette va de 4,2 % (transport routier) à 18,6 % (commerce de gros).
Ainsi, la politique tarifaire de l'eau dans les grandes villes fait apparaître une captation de marges qui est nettement trop élevée dans les grandes villes et qui est proprement scandaleuse pour le Syndicat des eaux d'Ile De France.
Pour les villes moyennes de 50.000 habitants, nous obtenons souvent un écart non significatif entre le prix de revient et le prix pratiqué. Les villes d'Aurillac, de Laval et de Vannes son très proches de notre estimation de prix. A l'inverse, nous obtenons un prix de revient plus élevé que le prix pratiqué dans les villes d'Albi (29 %) et de Six fours (15%).
Pour les villes de 5.000 à 30.000 habitants, nous retrouvons des écarts globalement non significatifs entre notre prix de revient et le prix pratiqué. Les écarts sont négligeables pour Landernau, Pontivy, Beausoleil, Fleury les Aubrais et Plérin. Il reste encore deux villes qui présentent des écarts trop élevés : Juvisy (1,25) et surtout Montbrison (avec 1,47 pour la seule distribution). Dans deux cas, notre prix de revient est plus élevé que le prix pratiqué.
Pour les trois villes de moins de 5000 habitants, nous obtenons des prix de revient beaucoup plus élevés que le prix pratiqué (un coefficient de 0,4 pour la ville de Clamecy par exemple).
III - Les enseignements de l'étude :
- Jackpot dans les grandes villes
- Un préjudice faramineux sur l'Ile de France
- Des prix systématiquement abusifs sur les grandes villes
Au sein de notre panel, l'étude constate que le prix de l'eau est largement surfacturé sur toutes les agglomérations de plus de 300.000 habitants et sur la moitié des agglomérations comprises entre 100.000 et 300.000 habitants. Cette surfacturation a un impact économique très important. En effet, selon l'INSEE, les agglomérations urbaines de plus de 100.000 habitants regroupent 27 millions de français. Une petite moitié de la population est donc exposée à une politique tarifaire le plus souvent abusive.
Les marges nettes sur chiffre d'affaires dégagées par les services d'eau sont impressionnantes puisque, le SEDIF mis à part, elles oscillent entre 26 et 42 %. Elles sont au minimum deux à trois fois supérieures aux taux de marges nettes des autres secteurs industriels déjà considérés comme profitables.
Le rapport de la Cour des comptes (6), rendu public en 2003, avait déjà tiré la sonnette d'alarme : « le retraitement du taux de marge du contrat, à partir des constats effectués sur la comptabilisation des charges calculées, conduit parfois à obtenir un taux supérieur de 50 à 100 % au taux apparent ». En écho à ce rapport, notre étude montre que la constitution de marges abusives est un trait structurel de la gestion de l'eau des grandes villes.
Ces résultats viennent par contre démentir les chiffres fournis par les entreprises de distribution de l'eau. Devant la mission de contrôle de l'Assemblée nationale, le directeur de la Compagnie générale des eaux déclarait, le 26 avril 2001, qu'en l'an 2000, le résultat consolidé réalisé en France par l'entreprise « représente 4,7 % de notre chiffre d'affaires eau en France. 4,7 % de résultat net hors structure financière (...) pour des activités réalisées par des groupes privés n'est pas un pourcentage élevé ». Cette affirmation paraît difficilement crédible dans la mesure où les contrats du Sedif et de Lyon, qui sont parmi les plus importants de la Générale des eaux, affichent un résultat net de 42 % et de 59 %.
Ces niveaux de profitabilité sont d'autant plus injustifiables que l'activité de distribution et d'assainissement s'effectue dans un environnement sans risque : les contrats sont signés pour une durée de 12 à 25 ans, la consommation domestique est stable et peu sensible au prix. Le délégataire est donc certain d'encaisser ces marges sur une très longue période sans risquer la concurrence ou un retournement du marché. A l'évidence, s'octroyer 30 à 40 % de profits sur un contrat garanti de 20 ans ne constitue pas une répartition satisfaisante de la valeur entre l'entreprise de distribution et l'usager domestique.
Les prix pratiqués dans les villes petites et moyennes sont globalement conformes à notre reconstitution des coûts.
Le constat est donc clair : les grandes agglomérations urbaines sont les machines à profits des entreprises de distribution de l'eau et le lieu d'un fort manque à gagner pour les consommateurs.
- Les 144 communes du syndicat des eaux d'Ile de France : un préjudice de plus de 200 millions d'euros annuels
Le Syndicat des eaux d'Ile de France regroupe 144 communes de la banlieue parisienne et approvisionne plus de 4 millions d'usagers. Il s'agit du plus grand syndicat de France.
Notre calcul fait apparaître un écart exceptionnellement élevé entre le prix facturé et le prix de revient que nous avons calculé. En effet, le syndicat s'appuie sur de puissantes économies d'échelles liées à la densité de l'habitat, qui permet d'amortir le renouvellement des tuyaux sur un fort volume de consommation, et à la taille du syndicat, qui permet aussi d'amortir sur un important chiffre d'affaires les coûts fixes des stations de traitement. Dans ce contexte, proposer un prix équivalent à ce qui peut être facturé dans des syndicats de 50.000 habitants ne correspond à aucun des fondamentaux économiques du secteur. Le prix pratiqué par le SEDIF échappe donc à toute rationalité.
Sur ce point, la comparaison entre la ville de Paris et le SEDIF est assez édifiante. Ces deux agglomérations sont assez comparables car elles sont situées sur le même territoire à forte densité urbaine. La seule différence provient du traitement de l'eau puisque le SEDIF, qui s'approvisionne en eaux de surface très polluée, doit effectuer de plus fortes opérations de potabilisation que le syndicat de la ville de Paris (qui reçoit une eau de meilleure qualité). Cependant notre calcul de coût démontre que cette différence, souvent avancées par les responsables du Sedif, à en réalité un impact économique très faible dans les grandes agglomérations (quelques centimes d'euros au mètre cube) car la potabilisation bénéficie de fortes économies d'échelles. Par conséquent, si le prix de la ville de Paris reste quelque peu excessif, il est incompréhensible que le SEDIF facture près de 50 % plus cher que le grand syndicat voisin.
En considérant la taille du syndicat, le préjudice pour les consommateurs atteint des montants très élevés. Le prix du syndicat pourrait être divisé par deux, ce qui laisserait encore une marge confortable au délégataire privé. Dans la mesure où les recettes du SEDIF sont de 550 millions d'euros pour l'année 2004, on peut estimer que le préjudice dépasse les 200 millions d'euros par an.
Cette situation, unique au sein de notre panel, appelle à une réforme structurelle du SEDIF et du syndicat d'assainissement (le SIAAP) dont la politique tarifaire révèle de graves dysfonctionnements. Notamment, la renégociation du contrat, prévue pour l'année 2011, devra s'effectuer sur des bases radicalement différentes.
- Prix abusif et duopole : tout laisse croire à une absence de concurrence dans les grandes villes
Tous les rapports publics, de la cour des comptes au conseil de la concurrence, s'inquiètent de l'extrême concentration du secteur de la délégation du service public de l'eau. Cette concentration est particulièrement prononcée pour les grandes villes où deux entreprises se partagent les marchés et où les régies publiques sont rares. Notre étude vient démontrer que, sur ces marchés, les délégataires constituent des marges très élevées, voire astronomiques, et que le prix payé par le consommateur est abusif.
Les indicateurs économiques d'un défaut de concurrence préjudiciable pour le consommateur apparaissent donc sur les marchés d'eau des grandes agglomérations. Il semble notamment indispensable de remettre en cause la structure de duopole privé qui gère les contrats des grandes villes.
- Régie publique versus délégataire privé : le débat ne peut pas être tranché
Notre étude ne visait pas à effectuer un comparatif de prix ou de rentabilité entre les régies publiques et les délégations de service. Il reste cependant possible de discuter les résultats obtenus selon cet angle. Il faut souligner au préalable que les régies sont sur-représentées au sein de notre panel. En fait, les régies proposent souvent plus d'informations sur leur service que les délégations privées. Par conséquent, il est plus aisé de proposer une reconstitution des coûts sur une régie que sur une délégation, ce qui explique cette sur-représentation . Ainsi, les régies sont quelque peu « victimes » de leur transparence et notre prochaine étude devra comprendre une part plus importante de services délégués.
Pour les grandes villes, les régies constituent des marges assez analogues à celles qui ont délégué au privé. Nous comptons ainsi deux communes en régie qui proposent un prix proche de notre prix calculé (Chambéry et Annecy) et deux autres agglomérations qui présentent des écarts importants (Strasbourg et Reims).
Deux éléments peuvent être avancés pour expliquer ces « excédents publics ».
Premièrement, ces régies ont peut être décidé de mettre de l'argent en réserve afin d'assurer une part d'autofinancement pour les investissements à venir. Dans son rapport de 2003, la Cour des comptes confirme que « certaines collectivités, ayant mis en place une gestion prospective, votent pourtant, en contradiction avec les règles imposées aux régies, le budget de leur service en sur-équilibre, afin de constituer des réserves pour financer les travaux importants à venir en matière de remplacement des canalisations, de réalisation du programme général d'assainissement et de construction et d'unités de traitement de boues d'épuration ».
Le modèle économique de l'eau est en effet très handicapé par les charges financières liées à un faible autofinancement. Une partie importante de la facture d'eau est donc consacrée au paiement des intérêts. Dès lors, mettre de l'argent en réserve pour diminuer les coûts de la dette future constitue un bon calcul. Il reste que la commune doit être transparente sur ce choix de gestion et informer précisément l'usager des mises en réserve ainsi que de leur utilisation. Surtout, la mise en réserve est compréhensible sur une période de quelques années pour constituer l'autofinancement. Mais, à un moment, elle doit bien permettre de diminuer les coûts financiers et aboutir à une baisse importante du prix. Ainsi, sur le moyen terme, les grandes régies de Strasbourg ou de Reims ne pourront pas justifier le maintien de prix hors taxes supérieurs à 1,8 euro au mètre cube.
Deuxièmement, il est probable que la séparation du budget eau et du budget général de la commune ne soit pas parfaitement étanche et qu'une partie de la facture d'eau vienne financer d'autres opérations. La Cour des comptes constate sur ce point que « le prix de l'eau peut être indûment majoré, l'usager payant pour des travaux qui ne se réalisent pas, voire pour un service étranger à l'eau ou à l'assainissement. De même, des transferts irréguliers peuvent encore être relevés d'un de ces services vers l'autre ».
Cette pratique, qui contrevient à la loi, est critiquable puisque le financement par l'impôt du budget communal répond à une autre logique que le paiement de la facture d'eau (on paye l'eau en fonction de la consommation alors que les impôts locaux dépendent de la valeur locative du logement par exemple). Les résultats très excédentaires de certaines grandes régies appellent donc à un contrôle plus étroit de ces flux financiers.
Au final, notre étude ne permet pas de discriminer la politique tarifaire des régies de celles des délégataires. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas des différences mais simplement que notre étude ne les met pas en évidence.
- La tarification de l'eau : où sont passées les économies d'échelles ?
Notre étude remet en cause une idée souvent avancée par les professionnels de l'eau : le coût de l'eau ne répond à aucune logique nationale, chaque territoire a un environnement spécifique et il existe donc des milliers de modèles économiques. En réalité, le secteur de l'eau est très structuré par un poste de coût : l'amortissement et l'entretien du réseau de tuyau en assainissement et en distribution, qui représente de 35 à 50 % du prix de l'eau.
Or, l'amortissement du réseau répond à une logique classique d'économie d'échelle ou, plus précisément, d'économie de densité. Par exemple, les grandes agglomérations urbaines ont un habitant pour 1 ou 2 mètres de réseau d'assainissement alors que ce ratio est de 1 habitant pour 5 mètres dans une ville moyenne et de 1 habitant pour 7 à 10 mètres dans une petite ville. Pour le réseau de distribution, l'écart peut être de 1 à 10 entre une grande agglomération urbaine et un village.
Comme cette dépense de renouvellement du réseau pèse très lourd, il se dégage une tendance structurelle : le prix de revient de l'eau est nettement moins élevé dans les grandes agglomérations urbaines à forte densité d'habitants. Or, cette tendance ne se retrouve pas dans les tarifications, certaines grandes agglomérations se permettant même de facturer plus cher que la moyenne nationale !
Au vu des résultats de l'étude, il semble évident que les grandes villes doivent établir publiquement les gains réalisés par les économies d'échelles et les restituer au consommateur.
- L'inégalité des coûts appelle à une réflexion sur la politique territoriale du prix
Du point de vue de la décision publique, le différentiel de coût entre petite ville et grande ville n'implique pas forcément que le prix payé par les consommateurs urbains soit deux fois moins élevé que celui facturé à l'usager rural.
Il peut être considéré que cette inégalité entre les territoires doit amener un rééquilibrage par un mécanisme de péréquation des prix. Une partie de la facture du consommateur urbain pourrait servir à financer des investissements pour le renouvellement du réseau ou la construction d'une station d'épuration en milieu rural.
Il reste que la situation actuelle est bien différente : le prix de l'eau est aligné sur le segment le plus élevé et les économies d'échelles réalisées sur les grandes villes ne vont ni au consommateur urbain ni à l'usager rural mais aux deux grandes entreprises de l'eau. La mise en place d'une solidarité nationale n'est possible que si le secteur connaît un bouleversement de sa politique tarifaire
- Pourquoi obtient-on parfois un prix de revient plus élevé que le prix pratiqué ?
Dans certaines petites et moyennes communes de notre panel, notre prix de revient calculé est sensiblement plus élevé que le prix pratiqué. Est ce à dire que les délégataires ou les régies perdent de l'argent sur certains contrats ? Cette hypothèse n'est pas à exclure même si elle concerne un faible volume de chiffre d'affaires. En réalité, ce résultat provient surtout du fait que nous avons retenu des hypothèses ambitieuses en terme de réalisations des investissements. Notamment, nous avons considéré un taux de renouvellement des tuyaux de 0,8 % pour la distribution et de 0,6 % pour l'assainissement ce qui correspond au niveau minimal pour obtenir une qualité correcte de réseau. Retenir une hypothèse plus basse reviendrait à considérer que les communes entretiennent mal les infrastructures ce qui est ni souhaitable d'un point de vue économique ni raisonnable d'un point de vue méthodologique.
Seulement, il apparaît que de nombreuses communes ont un taux de renouvellement plus bas que notre hypothèse. Le rapport Launay de l'Assemblée nationale estime que le taux moyen national est de 0,5 %. L'audit technique récemment réalisé sur la ville de Bordeaux avance un taux de 0,4 % sur ce contrat. Dès lors, il est indéniable que certaines villes de notre panel présentent un taux inférieur à notre hypothèse normative. Or, cette différence a un impact important sur le prix de revient. Par exemple, si on considère un taux de renouvellement de 0,4 % pour la ville d'Albi notre prix de revient égalise le prix réellement pratiqué, alors qu'en l'état notre prix de revient est près de 30 % supérieur au prix pratiqué.
Ainsi, notre hypothèse « ambitieuse et normative » sur le renouvellement permet de ne pas sous estimer le prix de revient, mais elle le surestime parfois ce qui explique largement ces marges négatives. Cependant, même si on appliquait des hypothèses plus basses aux petites et aux moyennes villes, nous trouverions des marges assez peu importantes et notre conclusion principale resterait donc inchangée.
(6) « La gestion des services publics d'eau et d'assainissement », décembre 2003.