Prix du pétrole
La rentabilité des compagnies pétrolières : Une explosion des surprofits
Publié le :
15/02/2006
L'UFC-Que Choisir appelle les parlementaires à voter l'instauration d'une taxe exceptionnelle de 5 milliards d'euros sur les bénéfices des groupes pétroliers déclarés en France. Cette mesure pragmatique viendra rétablir le déséquilibre scandaleux de la politique énergétique du gouvernement ;
SOMMAIRE
- 1. I / 2004-2005 : Les groupes pétroliers constituent des profits exceptionnels
- 2. Evolution des bénéfices nets (M$)
- 3. II / Origine du bénéfice
- 4. Explosion des bénéfices du secteur amont (exploration-production)
- 5. Evolution des bénéfices dans le secteur amont
- 6. Bénéfices croissant du secteur aval (raffinage-distribution)
- 7. Evolution des bénéfices dans le secteur aval
- 8. Brent de 1995 à 2005
- 9. Evolution des taux de marge
- 10. Correlation entre résultat net et prix du brent (base 100 en 2000)
- 11. III / Une croissance du « surprofit »
- 12. Détermination d'une rentabilité de référence
- 13. La RoACE des compagnies pétrolières mondiales entre 1997 et 2002
- 14. Pour Total la RoACE de référence est de 15 % en activité aval
- 15. Estimation du « surprofit »
- 16. Comparaison rentabilité réelle et rentabilité de référence
- 17. Comparaison rentabilité réelle et rentabilité de référence
I / 2004-2005 : Les groupes pétroliers constituent des profits exceptionnels
Au cours de la période 2000-2004, les bénéfices des groupes pétroliers ont connu l'évolution suivante :
- Baisse significative entre 2000 et 2002
- Très forte croissance entre 2002 et 2005 qui surpasse largement la baisse initiale.
Jusqu'en 2004, Total était la compagnie pour laquelle les bénéfices nets ont connu l'évolution la moins prononcée. En fait, ce groupe avait déjà un taux de marge plus élevé que ses concurrents directs (BP et Shell notamment). Ces derniers ont vu leurs profits croître de façon plus importante en 2003 et 2004 par un simple phénomène de rattrapage. L'année 2005 marque une augmentation très spectaculaire des bénéfices de Total. Cumulé sur les 9 premiers mois de 2005, le résultat net part du groupe est de 9,9 milliards d'euros contre 7,1 milliards d'euros pour les 9 premiers mois de 2004.
Depuis un an, les bénéfices de Total ont donc connu une hausse de 39 %.
En 2005, le résultat net de Total va dépasser 13 milliards d'euros, ce qui est absolument exceptionnel.
Evolution des bénéfices nets (M$)
|
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
évolution 2000-2004 |
---|---|---|---|---|---|---|
BP |
10 120 |
6 556 |
6 795 |
10 482 |
15 731 |
11,7% |
Total (M euro) |
8 035 |
7 564 |
6 638 |
7 705 |
8 886 |
2,5% |
Exxon Mobil |
17 720 |
15 320 |
11 460 |
21 510 |
25 330 |
9,3% |
Chevron Texaco |
7 727 |
3 288 |
1 132 |
7 230 |
13 328 |
14,6% |
Royal Dutch Shell |
12 813 |
10 301 |
9 656 |
12 313 |
18 183 |
9,1% |
Source : d'après groupes |
Ces profits totaux proviennent de l'activité amont (exploration-production) et aval (raffinage-distribution).
II / Origine du bénéfice
Explosion des bénéfices du secteur amont (exploration-production)
Le secteur amont (exploration-production) est la principale source de profits des groupes pétroliers. En 2004, il représentait 75 % du bénéfice de Total ou de BP et 65 % du résultat de Royal Dutch Shell.
Evolution des bénéfices dans le secteur amont
Résultat opérationnel amont (millions dollars)
|
2002 |
2003 |
2004 |
Evolution 2002 - 2004 |
---|---|---|---|---|
BP |
9 006 |
13 756 |
18 378 |
+104% |
Total (M euro) |
9 309 |
10 476 |
12 820 |
+38% |
Royal Dutch Shell |
13 292 |
16 825 |
20 824 |
+57% |
En 2004, la marge nette par baril dans le secteur amont s'est élevée à près de 10$ (cf. graphique ci-dessous), soit le niveau le plus élevé au cours des 5 dernières années. Le groupe Total a connu une hausse importante de cette marge amont bien que, jusqu'en 2004, cette tendance soit moins marquée que celle de ses concurrents.
L'évolution de la marge nette dans le secteur amont (en dollars par baril)

Bénéfices croissant du secteur aval (raffinage-distribution)
La marge du secteur aval représente des montants moins importants que la marge amont. Cependant, il apparaît que cette marge est très dynamique depuis quelques années. Le groupe Total connaît même une hausse de ses résultats nettement supérieure à celle de ses concurrents.
Evolution des bénéfices dans le secteur aval
Résultat opérationnel aval (millions dollars)
|
2002 |
2003 |
2004 |
Evolution 2002 - 2004 |
---|---|---|---|---|
Total (M euro) |
609 |
1 970 |
3 217 |
+428% |
BP |
1 969 |
2 483 |
6 084 |
+209% |
Royal Dutch Shell |
3 563 |
4 085 |
8 901 |
+150% |
L'évolution spectaculaire des bénéfices du secteur aval s'explique essentiellement par la hausse des marges sur raffinage (1). Le tableau suivant expose l'évolution des marges réalisées par les groupes sur le pétrole Brent (approvisionnement en mer du Nord).
Alors que cette marge est en moyenne de 2,45 dollars/baril sur la période 1995-2003, elle atteint 6 dollars/baril en 2005 soit une augmentation de 145 %.
Brent de 1995 à 2005
|
Marge brute raffinageen dollar par baril |
---|---|
1995 |
2,02 |
1996 |
2,67 |
1997 |
2,58 |
1998 |
2,49 |
1999 |
1,61 |
2000 |
3,55 |
2001 |
2,48 |
2002 |
1,44 |
2003 |
3,17 |
Moyenne 1995-2003 |
2,45 |
2004 |
4,91 |
2005 |
6,03 (*) |
Source : DIREM. (*) sur les 11 premiers mois |
Sur les autres sources d'approvisionnement en brut, l'évolution des marges de raffinage est similaire (2).
Le tableau suivant démontre que le taux de marge des groupes pétroliers reste globalement stable sur une base de 7-8 %.
En réalité, les groupes pétroliers n'ont pas accru leurs profits en augmentant leur taux de marge. En fait, ils ont seulement maintenu ce taux mais en l'exerçant sur la base d'un cours du baril qui s'est démultiplié. Mécaniquement, le volume des profits a pu croître de façon spectaculaire.
Evolution des taux de marge
Résultats nets/chiffre d'affaires
|
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
---|---|---|---|---|---|
BP |
6,3% |
3,7% |
3,8% |
4,4% |
5,3% |
Total |
7,0% |
7,2% |
6,5% |
7,4% |
7,2% |
Exxon Mobil |
7,8% |
7,3% |
5,7% |
9,1% |
8,7% |
Chevron Texaco |
7,6% |
3,1% |
1,1% |
6,0% |
8,8% |
Royal Dutch Shell |
9,4% |
8,4% |
5,9% |
6,2% |
6,9% |
Source : UFC-Que Choisir |
Le graphique suivant confirme cette hypothèse : l'évolution du résultat net des majors coïncide avec l'évolution du cours du baril Brent.
Correlation entre résultat net et prix du brent (base 100 en 2000)

L'UFC-Que Choisir constate donc que le modèle économique de l'activité pétrolière est défavorable aux intérêts du consommateur. Les pétroliers ont décidé d'indexer leur niveau de profit sur le prix du baril ce qui, dans une perspective de croissance à long terme du prix du pétrole, va entraîner mécaniquement la constitution d'une rente exceptionnelle.
III / Une croissance du « surprofit »
Détermination d'une rentabilité de référence
La RoACE (Return on Average Capital Employed), ou le retour sur capitaux employés, est l'instrument de référence utilisé par les pétroliers pour juger du niveau de leur rentabilité. Le niveau moyen de référence de cette rentabilité est de 15% pour la profession, comme en atteste le graphique ci-dessous.
La RoACE des compagnies pétrolières mondiales entre 1997 et 2002

Source :Valuation of International Oil Companies -The RoACE Era 1 by Petter Osmundsen*, Frank Asche* and Klaus Mohn*** Stavanger University College** Statoil ASA
Ce niveau de référence est d'ailleurs attesté par le groupe Total lui-même, comme le montre la copie du transparent ci-dessous, issu de la communication financière du groupe. En environnement de référence, avec un Baril à 25$, le groupe estime à 15 % sa rentabilité souhaitable pour les activités aval. Il fixait d'ailleurs cet objectif de 15 % pour les années 2007-2009.
Pour Total la RoACE de référence est de 15 % en activité aval

Estimation du « surprofit »
Les tableaux de la page suivante comparent les niveaux réels de rentabilité (RoACE réelle) pour 2003 et 2004 et estimé pour 2005 (3) et les profits qu'aurait obtenus le groupe avec une rentabilité à 15 % (RoACE de référence).
Pour l'activité amont, il apparaît que le groupe réalisait déjà des surprofits en 2003 (2,1 milliards d'euros). Ce constat, valable pour tous les groupes pétroliers, s'explique par le caractère très faiblement concurrentiel de l'activité amont. On constate ensuite que ces surprofits ont connu une forte croissance, en 2004, et surtout en 2005, pour atteindre plus de 5 milliards d'euros.
Pour l'activité aval, le groupe partait d'un surprofit nul en 2003 pour atteindre un niveau de surprofit important en 2005 (1,9 milliard d'euros).
Le fait très spécifique de ces deux dernières années est donc l'apparition de surprofits dans le domaine aval qui est théoriquement plus concurrentiel que le secteur amont.
Comparaison rentabilité réelle et rentabilité de référence
(Activité amont : exploration-production)
AMONT(en milliards d' euro)
|
2003 |
2004 |
2005 (*) |
---|---|---|---|
Résultat d'exploitation |
5,1 |
5,8 |
7,7 |
Capitaux employés |
17,6 |
16,6 |
16,6 |
Rentabilité de référence |
15 % |
15 % |
15 % |
Profits de référence |
2,6 |
2,5 |
2,5 |
Rentabilité réelle |
29 % |
35 % |
46 % |
Profits réels |
5,1 |
5,8 |
7,7 |
Surprofits |
2,5 |
3,3 |
5,2 |
(*) projection sur les 9 premiers mois |
Comparaison rentabilité réelle et rentabilité de référence
(Activité aval : raffinage-transport)
AVAL(en milliards d' euro)
|
2003 |
2004 |
2005 (*) |
---|---|---|---|
Résultat d'exploitation |
1,4 |
2,3 |
3,3 |
Capitaux employés |
9,6 |
9,3 |
9,3 |
Niveau de rentabilité de référence |
15 % |
15 % |
15 % |
Profits de référence |
1,4 |
1,4 |
1,4 |
Rentabilité réelle |
15 % |
25 % |
35 % |
Profits réels |
1,4 |
2,3 |
3,3 |
Surprofits |
0,0 |
0,9 |
1,9 |
AVAL et AMONT(en milliards euro) « Surprofits » totaux |
2,5 |
4,2 |
7,1 (4) |
(*) projection sur les 9 premiers mois |
Par rapport à la valeur de référence, les « surprofits » obtenus par Total sont de 7,1 milliards d'euros en 2005 et à 4,2 milliards d'euros en 2004.
Le Groupe Total a donc réalisé des « surprofits » d'une ampleur exceptionnelle en 2004 et 2005.
(1) En effet les marges sur le transport-distribution sont particulièrement faibles en France du fait de la concurrence de la grande distribution sur ce segment d'activité.
(2) La marge sur approvisionnement LLS est de 2,88 dollars/baril en 2004 contre 1,13 en 2003 et 1,29 en 2000. La marge sur approvisionnement Dubaï est de 2,54 dollars/baril en 2004 contre 0,81 en 2003 et 0,89 en 2000. Se référer au Panorama 2005 de l'Institut français du pétrole pour plus d'informations sur ce sujet.
(3) Le résultat opérationnel net 2005 est calculé en projetant les résultats des 9 premiers mois.
(4) Il est à noter que si l'on somme les « surprofits » et les « profits normaux » de Total pour l'année 2005, on obtient 11 milliards d'euros, ce qui représentera le résultat net hors éléments non récurrents. Pour évaluer de façon rigoureuse la chaîne de valeur du groupe et le montant du surprofit, il était nécessaire de retenir le résultat hors éléments exceptionnels. Cependant, toujours pour l'année 2005, les profits effectifs du groupe Total (mesurés par le résultat net part du groupe) seront d'environ 13 milliards d'euros. Il est évident que la taxation exceptionnelle sera effectuée sur le fondement des profits effectifs.