Les marges de l'eau
Comment restaurer la concurrence sur le secteur de l'eau ? Les propositions de l'UFC Que Choisir
Publié le :
29/01/2006
Des propositions concrètes à inscrire dans le projet de loi sur l'eau en cours d'examen. Et également, une proposition en direction du Parlement et une autre en direction des maires.
SOMMAIRE
- 1. I- INSTAURER UN CONTRÔLE EXTERIEUR DU PRIX DE L'EAU ET DES RENOUVELLEMENTS DE CONTRATS
- 2. 1- Un Haut conseil de l'eau qui fixe des prix normatifs et propose des comparaisons
- 3. 2- Un avis obligatoire du Conseil de la concurrence pour les renouvellements des grands contrats
- 4. II- POUR FAIRE VIVRE LA CONCURRENCE IL FAUT FAIRE VIVRE LA REGIE MUNICIPALE
- 5. III- REMETTRE EN CAUSE L'OLIGOPOLE DE L'EAU : POUR UNE MISSION D'INFORMATION PARLEMENTAIRE SUR LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE DANS LE SECTEUR DE L'EAU
- 6. Résumé des propositions de l'UFC-Que Choisir
- 7. Le panel d'étude de l'UFC Que Choisir :
I- INSTAURER UN CONTRÔLE EXTERIEUR DU PRIX DE L'EAU ET DES RENOUVELLEMENTS DE CONTRATS
La structure d'oligopole étroit sur le secteur l'eau place les communes dans une situation de faiblesse où il est difficile de négocier un bon prix. Notre étude, qui établit des marges très élevées pour les grandes villes, démontre bien que cette faible concurrence génère des prix abusifs. Dès lors, il paraît essentiel que :
1- les communes soient aidées à mieux négocier leur prix,
2- la relation entre la commune et les délégataires fasse l'objet d'un contrôle extérieur nettement plus accru.
1- Un Haut conseil de l'eau qui fixe des prix normatifs et propose des comparaisons
Une structure publique doit fixer des indicateurs de prix en fonction de calculs effectués par des experts indépendants. Cette structure rendrait publique une batterie de prix « souhaitables » selon le type de communes. Elle donnerait aussi des indications chiffrées sur le coût de revient des différents postes de l'activité. La structure pourra diffuser les prix effectivement pratiqués dans toutes les villes de France. Elle fournirait aussi des indicateurs de qualité normatifs (taux de fuite, ancienneté des compteurs) et mènerait des études pour établir le niveau réel des investissements effectués en France (le taux de renouvellement du réseau par exemple).
L'intérêt de ce Haut conseil de l'eau est évident : il permet d'afficher des objectifs raisonnables de rapport qualité-prix. Les communes seraient alors incitées à revoir leur politique tarifaire pour ce rapprocher des objectifs. Par ailleurs, ce Haut conseil va produire de la connaissance dans un secteur qui est peuplé d'idées reçues. Par exemple, il pourra mettre en évidence qu'il n'y a pas « des milliers de modèles de l'eau en France » (autrement dit un par commune) mais, au contraire, que la chaîne de valeur répond à des tendances lourdes partout en France (densité de l'habitat, taille de l'agglomération).
La création du Haut conseil de l'eau avait été envisagée par le projet de loi Voynet pour être écartée par la suite. L'UFC-Que choisir demande que cette structure soit réintégrée dans le projet de loi sur l'eau en cours d'examen par le Parlement.
2- Un avis obligatoire du Conseil de la concurrence pour les renouvellements des grands contrats
Dans le secteur de l'eau, le renouvellement du contrat est un moment crucial pour faire vivre la concurrence. Passé le renouvellement, les jeux sont faits pour de longues années. Notre étude démontre que les contrats actuels ont été très mal négociés notamment par les grandes villes. Or, nombre de ces contrats arrivent à échéance lors de ces prochaines années. Devant les graves dysfonctionnements passés et actuels, il paraît essentiel de renforcer le contrôle juridique de ces renouvellements de contrats qui vont structurer la tarification des vingt prochaines années.
Les communes sont souvent réticentes à accepter un tel contrôle en estimant qu'il ne faut pas empiéter sur leur compétence historique. Malheureusement, les résultats de notre étude montrent que les maires assument plutôt mal ces compétences et qu'il est nécessaire de mobiliser le contrôle d'une tierce partie.
Ce contrôle doit notamment porter sur les conditions d'exercice de la concurrence, car la structure industrielle du secteur est extrêmement propice à des ententes sur les prix. L'institution juridiquement compétente en la matière est le Conseil de la Concurrence.
L'UFC-Que choisir demande que soit rendu obligatoire l'avis du Conseil de la concurrence sur tous les renouvellements de contrat qui engagent une collectivité de plus de 100.000 habitants. Cette disposition doit être inscrite dans le projet de loi sur l'eau.
II- POUR FAIRE VIVRE LA CONCURRENCE IL FAUT FAIRE VIVRE LA REGIE MUNICIPALE
Dans la mesure où le secteur privé de la délégation est très concentré autour d'un duopole et que cette concentration est stable depuis des décennies, il faut rechercher des voies originales pour restaurer le processus concurrentiel. Le retour en régie municipale, s'il ne constitue pas automatiquement un modèle économique supérieur à la délégation, permet d'opposer une alternative à l'oligopole privé de l'eau. Il induit alors une concurrence, non plus entre entreprises, mais entre les choix de mode de gestion. Cette concurrence permet d'accroître le pouvoir de négociation de la commune lors des renégociations de contrat.
L'UFC-Que choisir demande aux élus des communes d'envisager systématiquement l'hypothèse d'un retour en régie à l'approche des renouvellements de contrat. Pour que cette alternative soit crédible, le passage en régie doit faire l'objet d'un projet suffisamment construit, chiffré et présenté publiquement aux administrés. La méthodologie de la comparaison devra être validée par le Haut conseil de l'eau. Le comparatif est ensuite proposé au public au moins une année avant le renouvellement du contrat et devra faire l'objet d'un avis de la commission consultative des services publics.
Il peut exister des coûts liés aux changements de mode de gestion. Afin de favoriser la concurrence, il est justifié que ces changements fassent l'objet de subventions publiques (quel que soit le sens du changement de mode de gestion).
L'UFC Que Choisir demande que le Haut conseil de l'eau statue sur les aides financières que l'Etat pourra accorder pour réduire les coûts liés au changement de mode de gestion. Enfin, le Haut conseil de l'eau aura pour mission de fournir une assistance technique aux communes pour les aider à élaborer des projets de retour en régie municipale lors des renouvellements de contrats.
III- REMETTRE EN CAUSE L'OLIGOPOLE DE L'EAU : POUR UNE MISSION D'INFORMATION PARLEMENTAIRE SUR LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE DANS LE SECTEUR DE L'EAU
Quelles que soient les mesures de contrôle qui peuvent être prises, la persistance d'un duopole sur le marché des grandes villes n'est pas satisfaisante. D'un point de vue factuel, ce duopole a généré des prix abusifs et un préjudice économique considérable pour les consommateurs. Le Conseil de concurrence considère, en outre qu'il s'agit « d'une structure particulièrement concentrée qui doit conduire les autorités de la concurrence à une vigilance particulière »
La difficulté tient au fait que, depuis plusieurs décennies, le secteur français de l'eau n'a connu aucune entrée significative de nouvelles entreprises. Dès lors, il apparaît impossible de s'en remettre à cette solution pour accroître la concurrence potentielle.
Dans son avis du 31 mai 2000, le Conseil de la concurrence reconnaît que la régulation de ce secteur est difficile parce que la concentration industrielle est très ancienne. Ainsi, le Conseil considère que « le droit de la concurrence ne peut plus que sanctionner certains de leurs comportements anti-concurrentiels, lorsque ceux ci sont détectés et prouvés » mais qu'il dispose de peu de voies pour modifier la structure du secteur. Par exemple, il est très difficile pour les autorités de la concurrence d'examiner des opérations de fusions acquisitions survenues il y a plus de vingt ans.
L'UFC Que Choisir considère que la concentration du secteur est un des facteurs fondamentaux de la surfacturation du prix de l'eau dans les grandes villes. Il paraît essentiel que le législateur étudie de façon approfondie ce phénomène de concentration et propose des solutions pour y remédier.
L'UFC Que Choisir préconise la mise en place d'une mission d'information parlementaire sur la concentration industrielle du secteur de l'eau.
Cette mission pourra notamment examiner plusieurs pistes de réformes.
Les lois Sapin (29 janvier 1993) et Barnier (8 février 1995), qui ont utilement encadré le renouvellement des contrats, pourraient être renforcées. Par exemple, la durée maximale de la durée des contrats devrait être portée à dix ans afin d'accroître les marges de manoeuvre des communes. Les possibilités d'entrée sur le marché seraient donc accrues. Cette proposition est d'autant plus justifiée que les délégataires se sont largement désengagés des opérations d'investissements, qui sont le plus souvent pilotées par les communes. Par conséquent, la durée longue de l'amortissement ne constitue plus un frein au raccourcissement de la durée des contrats.
Par ailleurs, le législateur doit se pencher sur les contrats de sous-traitance des délégataires de l'eau. L'exemple de la surfacturation des branchements plomb par le Sedif est édifiant : la principale entreprise titulaire de ce marché est une filiale de Véolia qui est le délégataire du Sedif pour la distribution de l'eau. Il conviendrait de soumettre ces contrats de sous-traitance à une procédure d'appels d'offres comparable à celles en vigueur pour la passation de marchés publics. Les oligopoles de l'eau auraient donc une emprise moindre sur les contrats de sous-traitance.
Enfin, la solution la plus rationnelle d'un point de vue économique serait d'accroître le nombre d'entreprises sur le marché en opérant à une scission des deux principaux opérateurs. Cette scission d'entreprise, aussi appelé démantèlement, consiste en fait à revenir a posteriori sur le vaste mouvement de concentration effectuée des années 1950 aux années 1980.
L'intérêt du démantèlement des deux grandes entreprises est évident. Sur le marché des grandes villes, le nombre d'entreprises en concurrence passerait de deux (ce qui est insuffisant au vu des résultats obtenus) à quatre voire à cinq entreprises (la Saur étant plus susceptible d'entrer sur ce segment de marché). Pour ce type d'appel d'offre, le passage de deux entreprises à quatre ou cinq entreprises est crucial. Il permet de limiter très fortement le risque d'entente et, en multipliant le nombre d'offres, de parvenir à une maîtrise des prix par le jeu concurrentiel. Le Conseil de la Concurrence a déjà accordé du crédit à cette idée en estimant que « le législateur disposerait, s'il le souhaitait, des moyens juridiques de corriger certaines situations en décidant, par mesure autoritaire, de diviser certaines entreprises ; une telle mesure n'a pas de précédent mais ne devrait pas, pour autant être écartée ».
Résumé des propositions de l'UFC-Que Choisir
- Deux propositions à inscrire dans le projet de loi sur l'eau en cours d'examen
- Créer un Haut conseil de l'eau pour fixer des normes de prix et proposer des comparaisons ville par ville. Le Haut conseil de l'eau aura aussi pour mission de promouvoir et de normaliser l'information donnée au public par les communes.
- Le renouvellement d'un contrat de plus de 100.000 habitants doit faire obligatoirement l'objet d'un avis du Conseil de la concurrence
- Une proposition en direction du Parlement
- Le Parlement doit mettre en place une mission d'information qui devra étudier les caractéristiques et les conséquences de la concentration industrielle du secteur de l'eau.
- Une proposition en direction des maires
- A l'occasion des renouvellements de contrat, les communes doivent mettre en oeuvre tous les moyens possibles pour examiner l'opportunité d'un retour en régie municipale. Cet examen implique de construire un projet précis et chiffré de retour en régie. Ce projet doit être comparé aux offres des délégataires.
Le panel d'étude de l'UFC Que Choisir :
nombre d'habitants et mode de gestion
|
Nombre d'habitants |
Mode de gestiondistribution |
Mode de gestionassainissement |
---|---|---|---|
Albi (81) |
49 106 |
régie |
délégué |
Angers (49) |
249 698 |
Régie avec prestation de service privée |
Régie avec prestation de service privée |
Annecy (74) |
139 209 |
régie |
régie |
Aurillac (15) |
55 000 |
régie |
régie |
Beauvais (60) |
55 392 |
délégué |
mixte |
Beausoleil (06) |
12 775 |
délégué |
délégué |
Belfort (90) |
95 899 |
régie |
régie |
Breitenbach (67) |
879 |
régie |
régie |
Brest (29) |
213 545 |
délégué |
délégué |
Chambéry (73) |
110 991 |
régie |
régie |
Château Gonthier (53) |
15 701 |
délégué |
Syndicat communal |
Clamecy (58) |
4806 |
délégué |
délégué |
Fleury les Aubrais (45) |
20 690 |
délégué |
délégué |
Ile de France (SEDIF) |
4 028 837 |
délégué (CGE) + SEDIF |
SIAAP, SIVOA (système mixte) |
Juvisy (91) |
11 937 |
délégué |
SIAAP |
Landernau (29) |
19 940 |
délégué |
- |
La Hague (50) |
10 841 |
régie |
régie |
Laval (53) |
53 479 |
régie |
régie |
Lille (59) |
1 047 664 |
Délégué (CGE + Lyonnaise) |
Système mixte |
Lyon (69 |
1 161 082 |
Délégué (CGE) |
Système mixte |
Montbrison (42) |
15 143 |
- |
- |
Nantes (44) |
554 466 |
Régie + délégué (CGE, SAUR) |
Régie + délégué (CGE, SAUR) |
Paris (75) |
2 100 000 |
Délégué (CGE, Lyonnaise) + régie |
SIAAP (système mixte) |
Pontivy (56) |
15 044 |
délégué |
délégué |
Plérin (22) |
12 833 |
Délégué (CGE) |
Délégué (CGE) |
Reims (51) |
218 928 |
régie |
régie |
Saint Rafaël Fréjus (83) |
77 400 |
délégué |
- |
Six fours (83) |
33 232 |
régie |
Système mixte |
Souillac (46) |
4000 |
régie |
- |
Strasbourg (67) |
399 067 |
régie |
Régie sur réseauDélégué station d'épuration |
Vannes (56) |
54 773 |
régie |
régie |
CGE : Compagnie générale des eaux, Lyonnaise : Lyonnaise des eaux. Délégué : gestion délégué à une entreprise privée : Régie : gestion par la municipalité |
-Plusieurs villes présentent un système qui allie la délégation et la régie. Dans ce cas nous citons en premier le mode dominant. Exemple : Délégation + régie = la majeure part de la gestion est déléguée.
- Le nom des entreprises délégataires est signalé pour les grandes agglomérations.
- Par souci de simplicité nous ne précisons pas la forme institutionnelle adoptée par la commune pour la gestion de l'eau (communauté de communes, communauté urbaine, syndicat intercommunal, etc).