Réforme des AOC viticoles

Comment restaurer le lien avec le terroir ?

Publié le : 07/09/2007 

Le système officiel français des AOC a contribué à rendre plus lisible l'univers des vins. Mais depuis quelques décennies, des doutes sont apparus sur la qualité et la typicité de certaines AOC viticoles. A tel point qu'on assiste à une banalisation inexorable des appellations.

 
SOMMAIRE

Le vin se distingue nettement des autres produits de grande consommation par son caractère complexe, qui en rend le choix particulièrement difficile et hasardeux pour des consommateurs non experts. Le système officiel français a contribué à rendre plus lisible cet univers des vins, en l'organisant sur la base du lien au terroir et en construisant une hiérarchie dont l'Appellation d'Origine Contrôlée constituait le sommet.

Mais depuis quelques décennies, des doutes sont apparus sur la qualité et la typicité de certaines AOC viticoles, contribuant à déliter la relation de confiance entre producteurs et consommateurs. Alors que l'édifice imaginé dans les années trente par le baron Le Roy de Boiseaumarié et le sénateur Joseph Capus, était fondé sur « l'originalité, l'authenticité et la qualité», on a assisté à une banalisation inexorable des appellations.

Les pouvoirs publics ont réagi en lançant en 2006 une remise à plat du système gérant les AOC, qui doit s'achever l'année prochaine avec sa mise en place sur le terrain. C'est dans le contexte de cette réforme que se situe cette étude, plus particulièrement consacrée aux AOC génériques. Celles-ci constituent en effet la catégorie la plus couramment achetée par les consommateurs, mais aussi celle qui est la plus touchée par cette baisse qualitative.

A cet effet, outre les données chiffrées disponibles, nous avons consulté 75 professionnels (producteurs, négociants, oenologues, acheteurs...) d'une vingtaine d'AOC particulièrement représentatives de la production française. Nous nous sommes tout d'abord attachés à identifier les causes qui ont conduit à cette évolution (volumes produits en AOC, rendements ...), et avons cherché à estimer le niveau des garanties portées actuellement par les AOC génériques. Puis, nous avons formulé des propositions sur les points majeurs de la réforme (établissement des cahiers des charges et des plans de contrôles, rôle des organismes de défense et de l'INAO ...), dans l'objectif ultime de restaurer la crédibilité de ce signe officiel.

I- Des consommateurs perdus face à la complexité du vin. Cliquez ici.

II- Consultation des professionnels de la filière : méthodologie et cadrage de l'étude. Cliquez ici.

III- La situation actuelle vue par les professionnels : le sabordage d'un signe officiel. Cliquez ici.

IV- Les propositions d ela profession pour sauver les AOC. Cliquez ici.

I- Des consommateurs perdus face à la complexité du vin

A - Quels repères pour les consommateurs dans l'univers du vin ?

L'univers des vins français peut s'ordonner selon plusieurs paramètres tels que : l'origine géographique, les caractéristiques gustative spécifiques, la marque, les cépages, le prix, la renommée, le conseil du caviste ou des experts, etc ... La première impression qui ressort spontanément de cette liste de critères, c'est la grande complexité de cet univers par rapport à d'autres produits de grande consommation, complexité qui risque de rendre particulièrement difficile le choix d'un consommateur non expert.

Cette difficulté est confirmée lorsque l'on examine de plus près quelques uns de ces critères cités, et que l'on se rend compte qu'aucun ne peut à lui seul, constituer un critère de choix véritablement satisfaisant pour le consommateur non expert.

1) Des marques méconnues

La marque est un déterminant important dans le choix des produits de consommation sauf dans le domaine des vins. Une étude de l'Onivins a montré que 80 % des français sont incapables de citer spontanément une marque de vin. Quant aux marques citées par les 20 % de consommateurs restant, elles sont loin de couvrir la globalité de l'offre des vins français : en effet ce sont essentiellement « Vieux Papes » et « Château Margaux » qui sont citées, c'est-à-dire des vins qui sont aux deux extrêmes de la hiérarchisation qualitative qui structure l'univers des vins.

2) Des cépages ignorés

Les cépages pourraient également donner aux consommateurs une idée quant à la note gustative d'un vin. Mais outre le fait qu'ils ne sont pas toujours indiqués sur les bouteilles, la connaissance des différents cépages existant est, là encore, très faible chez les consommateurs. La même étude de l'Onivins et de l'Inra indiquait en effet que seulement 15% des consommateurs sont capables de citer spontanément un nom de cépage.

3) Un recours limité aux experts

Les experts peuvent bien évidemment éclairer et aider le choix du consommateur, qu'il s'agisse d'oenologues spécialisés (à travers les journaux consuméristes, guides publiés annuellement ...) ou de circuits de commercialisation spécialisés tel que celui des cavistes. Cependant, les circuits de commercialisation spécialisés représentent moins du quart des ventes de vins, le reste étant essentiellement assuré par la grande distribution. Quant aux experts, ils ne peuvent tester la totalité d'une offre particulièrement vaste. Parmi les différents produits de grande consommation, le rayon des vins est en effet celui qui offre la plus grande diversité : on dénombre actuellement en moyenne 260 références de vins dans les rayons des supermarchés et 530 en hypermarchés !

4) « L'hyperchoix » pour un produit complexe

Si aucun de ces paramètres ne peut constituer à lui seul un critère de choix fiable, la superposition de ces critères quant à elle, loin de simplifier le choix du consommateur, lui complique au contraire la tâche. Déjà en 2000, une enquête réalisée par l'Onivins et l'Inra montrait que « le processus de choix d'un vin est fortement marqué par un stress et une forte incertitude face à l'offre ». Les chiffres avancés dans cette étude étaient encore plus parlants : pour 72 % des français, il est difficile de choisir un vin, quel que soit le profil des personnes interrogées ou leur niveau de connaissance du vin !

Ces résultats ont été depuis clairement corroborés par une étude de modélisation tout récemment publiée par le Crédoc démontrant que, par rapport à d'autres produits de grande consommation, le choix d'un vin est probablement l'un des plus difficiles, du fait notamment de la nature du produit, particulièrement complexe à appréhender. Mais le processus de choix est rendu encore plus ardu pour le consommateur, dans la mesure où celui-ci est face à un très grand nombre de références proposées à la vente, le mettant ainsi dans une situation qualifiée « d'hyperchoix ». Dans le cas habituel d'un produit offrant un faible nombre de références différentes (3 à 7 produits similaires) on n'observe pas de grandes difficultés dans la réalisation du choix. En revanche, à partir d'un nombre important de références (28 pour l'expérience) le processus de décision est moins facile, moins plaisant et les consommateurs éprouvent plus souvent l'envie de ne choisir aucun produit, du fait de la complexité de ce choix. Une fois le choix effectué, les consommateurs se montrent également moins assurés de la pertinence de leur choix. Compte tenu du nombre de références indiquées au point précédent (entre 260 et 530), dans le cas du vin nous sommes de toute évidence dans une situation « d'hyperchoix ».

L'univers des vins se révèle particulièrement difficile à appréhender pour les consommateurs, car il s'agit là d'un produit vivant et évolutif, complexe, proposé en un nombre considérable de références. Quant aux critères habituellement utilisés pour les différencier, loin d'aider le consommateur, ils lui compliquent encore la tâche. Ceci explique que pour s'y retrouver, les consommateurs non experts soient demandeurs de repères fiables et reconnus. L'observation des stratégies de choix opérées par les consommateurs dans le cadre de l'étude du Crédoc, confirmait en effet que plus le produit est complexe à juger, plus les consommateurs ont tendance à se tourner vers un produit portant « des signaux de qualité extrinsèques différenciants », tels que des labels ou une indication que le produit a été distingué par les experts !

B - Les AOC : une promesse originelle de typicité et de qualité

Répondant à cette demande de repères fiables et reconnus, les pouvoirs publics français ont créé dès 1935 l'Appellation d'Origine Contrôlée garantissant une origine géographique et un terroir. En effet, les Vins d'Appellations d'Origines Contrôlées (AOC) ont pour caractéristique première d'être issus d'un terroir, c'est à dire de relever de facteurs naturels (aire géographique, climat, encépagement...) et de facteurs humains (les méthodes culturales et de vinification traditionnelles).

Le degré de lien au terroir devenait ainsi la colonne vertébrale du système de classification des vins : la production française se répartissant entre, d'une part les vins de table sans revendication d'origine régionale particulière et d'autre part l'ensemble des vins qui en font mention.

Ce deuxième groupe étant hiérarchisé de la manière suivante (en allant vers les vins ayant le lien au terroir le plus affirmé et les vins les plus prestigieux) : vins de pays, vins délimités de qualité supérieure (VDQS) et AOC. Les AOC étant elles mêmes subdivisées en AOC régionales (appelées également AOC génériques), AOC communales ou villages et AOC de crus.

Les pouvoirs publics se faisaient ainsi les garants d'un contrat entre consommateurs et producteurs. A une époque où les vins français faisaient l'objet de nombreuses fraudes, le but était de restaurer la confiance des consommateurs, en leur garantissant des vins tirant leur typicité de leur origine géographique et -implicitement- un certain niveau qualitatif.

Créées dans un contexte récurrent de crises de la production viticole, l'AOC avait également pour objet de constituer une garantie de revenu pour les producteurs, en accordant à leurs productions notoriété et reconnaissance officielle.

Enfin, les productions viticoles constituant un aspect indéniable de l'héritage culturel français, l'AOC avait également pour objet de sauvegarder et pérenniser ce patrimoine.

Cette garantie officielle s'est rapidement traduite par le succès commercial des AOC qui a accompagné la demande des consommateurs français vers des vins de meilleure qualité. Ainsi, sur les quarante dernières années, la consommation de vins courants (vins de table notamment) a été divisée par quatre, alors que celle des vins de qualité (tout particulièrement AOC) était multipliée par trois.

Enfin, les niveaux qualitatifs et de prix, ont été pendant longtemps globalement cohérents avec la hiérarchisation organisée par les pouvoirs publics, ce qui assurait au consommateur non averti une relative lisibilité de l'offre des vins français.

C - Une rupture unilatérale du contrat de confiance

Mais à partir des années 70, les consommateurs comme les experts ont constaté une dégradation progressive de la typicité et de la qualité gustative de certaines AOC. En 1995, l'UFC-Que Choisir mesurait cette baisse qualitative en publiant une enquête, alors très contestée notamment par les syndicats des vins de Bordeaux et de Bourgogne. La même année, la Revue des oenologues confirmait cette analyse et indiquait « qu'en moyenne 40% des volumes d'AOC sont des vins moyens et 20% des vins passables, médiocres, voire mauvais ». En clair, 60% de la production de vins d'AOC était de qualité insuffisante.

Année après année, l'UFC-Que Choisir multiplie les enquêtes et les articles démontrant que la situation reste aussi dégradée. Ainsi, en 2002, un article révèle que de nombreux professionnels, sous couvert d'anonymat, considèrent que 30 à 40 % des vins sont indignes de l'AOC.

Malgré la demande explicite des consommateurs pour des vins de meilleure qualité gustative et la faveur qu'ils ont marqué aux AOC, de nombreux professionnels sont prêts à produire sous le label AOC des vins de qualité médiocre, portant ainsi directement atteinte au contrat de confiance entre consommateurs et producteurs, avec pour conséquence une banalisation inéluctable des AOC.

D - La hiérarchie des vins remise en cause

Pour certains produits de consommation, si l'offre devient trop peu lisible pour les consommateurs, du fait d'une diversification ou d'une segmentation excessive, le critère prix peut malgré tout rester un référent majeur, sur lequel les consommateurs ont tendance à se replier. Mais dans le cas des vins, le prix n'a pas conservé ce rôle de critère incontestable de référence, car on a observé un affaiblissement du lien entre prix et qualité gustative. Au-delà des coûts de production censés refléter le travail du vigneron sur le vin, d'autres facteurs sont intervenus, tels que les stratégies marketing ou les marges de distribution.

Ainsi, à l'intérieur de la catégorie des AOC, l'enquête publiée dans « Que Choisir » en 2006 sur les vins médaillés, montrait que parmi les Bordeaux la bouteille la plus chère de notre relevé (12 euros) n'obtenait qu'une note de 9/20, loin derrière d'autres vins plus abordables ; le meilleur rapport qualité prix étant obtenu par une bouteille à seulement 4,75 euros avec une notation de 12/20 (sachant que la meilleure note attribuée était de 13/20). Des résultats similaires étaient observés pour les Côtes-du-Rhône et les Chinons.

Cette forme de brouillage a également atteint la hiérarchisation entre les grandes catégories de vins. Ainsi le prix d'un AOC « Bordeaux » en grandes surfaces peut descendre à 2 euros la bouteille, alors que les vins de pays les plus prestigieux frôlent les 50 euros (Domaine de Trévallon par exemple). Dans des gammes de prix plus abordables, d'excellents vins de pays ou, vins de table, offrent aujourd'hui, à des prix compris entre 2 et 4 euros des qualités parfois supérieure à des AOC de 8 euros.

On peut supposer que cet affaiblissement du critère prix et le brouillage entre les catégories de vins, ont contribué à la confusion relevée chez les consommateurs. Une enquête (TNS SECODIP-Panel consoscan) , révélait que lorsqu'on demande aux consommateurs d'indiquer le nom d'un vin de pays, 81 % ne sont pas en mesure de donner une réponse correcte et que la plupart citent sans le savoir un AOC. Une autre étude de l'Onivins indiquait que lorsque l'on demande aux consommateurs s'ils ont observé une différence entre les Vins de Pays et les Appellations d'Origine Contrôlée, 49 % répondent négativement !

II- Consultation des professionnels de la filière : méthodologie et cadrage de l'étude

A - L'objectif de restaurer la crédibilité aux AOC

Les buts donnés à cette étude sont tout d'abord d'identifier et de caractériser les raisons expliquant cette baisse qualitative et ces brouillages dans les repères d'achat pour les consommateurs (problèmes de hiérarchisation entre les catégories de vins, signification de l'AOC par rapport aux autres catégories ...). Mais l'étude a également pour objet d'aider à la formulation de propositions concrètes au moment où l'INAO élabore la réforme des AOC. L'objectif ultime étant de restaurer la confiance entre producteurs et consommateurs, en redonnant un sens et de la crédibilité aux AOC.

B - Des sources représentatives

Ce rapport a été réalisé sur la base d'une étude réalisée par le Cabinet Terrasyrah, spécialisé en conseil et management de la qualité dans le domaine viticole. Ces éléments sont issus de l'expertise propre du cabinet d'étude, des données chiffrées disponibles (rendements, volumes des productions, déclassement...) et des réponses apportées par 75 professionnels de la filière viticole dans le cadre d'entretiens en face à face ou d'entretiens téléphoniques.

Il est à noter que les personnes interrogées lors de ces entretiens couvrent l'essentiel des fonctions ayant une expertise dans le domaine du vin :

- 40 producteurs (vignerons et caves coopératives) couvrant une vingtaine d'AOC,

- 15 experts (oenologues, spécialistes du vin ...),

- 10 représentants du négoce de la filière vin,

- 5 acheteurs pour les rayons vins de la grande distribution,

- 5 permanents issus de différents organismes et structures chargés de la gestion de la filière vin.

C - La plus grande partie du vignoble français

Afin d'assurer une bonne représentativité, l'étude porte sur la plupart des grandes régions viticoles françaises, productrices de l'essentiel des AOC génériques : la Gironde, la vallée du Rhône, le Languedoc Roussillon et le val de Loire.

Une vingtaine d'AOC ont été retenues comme étant représentatives du vignoble français, de ses caractéristiques profondes et de ses difficultés au vu de la problématique étudiée :

- COTES DU RHONE

- COTES DU RHONE VILLAGES

- BEAUMES DE VENISE

- COTES DU VENTOUX

- COSTIERES DE NIMES

- COTEAUX DU LANGUEDOC

- PIC SAINT LOUP

- COTES DE PROVENCE

- BOURGOGNE MACON

- BEAUJOLAIS

- BORDEAUX ET BORDEAUX SUPERIEUR

- 1ERE COTES DE BORDEAUX

- COTES DE BOURG

- BERGERAC

- MONTBAZILLAC

- ALSACE

- MUSCADET

- COTEAUX DU LAYON

- CORBIERES

D - Des AOC entre 2 et 8 euros

La hiérarchisation existant à l'intérieur des AOC peut se comparer à une pyramide : la base de cette pyramide qui concerne la plus grande quantité du volume vendu, comprend les AOC les moins prestigieuses et donc les moins chères ... et souvent les moins bonnes. Le sommet de la pyramide est réservé aux « crus » avec globalement un haut niveau qualitatif... et de prix.

C'est pourquoi l'étude que nous avons réalisée ne porte que sur les productions vendues entre 2 et 8 euros la bouteille, ce qui correspond grosso modo à la moitié inférieure de la pyramide. En effet, c'est cette production qui est consommée le plus fréquemment et par la plus grande partie des consommateurs, alors que le sommet de la pyramide concerne plutôt des consommateurs experts ou des occasions de consommations plus exceptionnelles.

Concrètement, cela correspond aux AOC « génériques » (par ex. Bordeaux, Bourgogne ou Côtes du Rhône), et à quelques AOC communales et AOC villages.

E - Structure de l'étude

a- Analyse de la situation actuelle : la première partie de l'étude a pour but de faire le point sur l'évolution qui a conduit à la situation actuelle et aborde l'évolution des volumes en AOC, les rendements, l'agrément, la qualité gustative et plus généralement les garanties apportées par l'AOC.

b - Propositions pour la réforme des AOC : la deuxième partie vise à éclairer les orientations actuelles de la réforme, sur la base des enseignements tirés de la réussite de deux AOC « exemplaires » et sur la base des demandes exprimées par l'ensemble des professionnels interrogés.

III- La situation actuelle vue par les professionnels : le sabordage d'un signe officiel

A - Rappel du système gérant jusqu'à ce jour les AOC

Une Appellation d'Origine Contrôlée est un système bénéficiant d'une reconnaissance officielle, attestant que le produit porteur de cette appellation a un lien étroit au terroir, et possède les caractéristiques qui lui ont assuré sa renommée.

Les différents acteurs intervenants dans l'élaboration de l'AOC ainsi définie sont : les producteurs, les syndicats de défense de l'appellation et l'INAO. Ils interviennent à des degrés divers dans la définition du décret de l'appellation considérée. Quant à l'agrément d'une production, il certifie que celle-ci est conforme à la définition donnée par le décret.

1) Les syndicats de défense et les producteurs

Chaque appellation est gérée par un ou plusieurs syndicats d'appellation (nota : l'adhésion d'un producteur à un syndicat de défense n'est jusqu'à présent pas obligatoire). Dans le système français des AOC, c'est en effet la communauté des producteurs qui est «propriétaire» de la définition de l'appellation.

Outre la défense collective des intérêts communs de ses membres, ces syndicats sont les garants de l'appellation auprès de l'INAO, car ils sont notamment à l'origine de la création et de la définition de l'appellation. A ce titre, ils ont pour devoir de gérer et maîtriser le potentiel de production, en fixant les conditions de production (par ex. rendements et volumes produits) permettant d'assurer le niveau qualitatif de l'appellation. Ils doivent également vérifier le respect par les producteurs, des contraintes liées à l'appellation. Si nécessaire, ils peuvent formuler des propositions pour faire évoluer l'appellation au niveau de sa définition (décret).

Ils peuvent également assurer des opérations de communication et de promotion visant à accroître la notoriété de l'appellation.

2) L'INAO

Créé en 1935 pour gérer les AOC du secteur viti-vinicole et des eaux de vie, l'INAO (jusqu'à récemment Institut National des Appellations d'Origine) est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du Ministère chargé de l'Agriculture, il fonctionne avec le concours de ses permanents (250), mais aussi des professionnels de la filière, des personnalités qualifiées ainsi que des représentants des administrations, participant aux travaux de ses comités. En tant qu'organisme de tutelle de la filière viticole, il joue un rôle clé dans la gestion du patrimoine public que constituent les AOC.

En ce qui concerne plus spécifiquement les fonctions pertinentes dans le cadre de notre étude, l'INAO a tout d'abord pour objet de valider et de contribuer à la définition des nouvelles AOC. A travers ses commissions d'enquête et ses comités, l'INAO vérifie la véracité de la notoriété et du lien au terroir mis en avant dans le dossier de demande déposé par le Syndicat et étudie la définition proposée pour le produit (aire géographique, conditions de production ...).

Une fois l'AOC accordée, les permanents de l'INAO vérifient la conformité du produit sur la base d'analyses et participent aux dégustations des produits lors de l'agrément des productions, réalisé à chaque récolte.

L'INAO a par ailleurs d'autres rôles de veille technique et économique, de communication, d'information, et de protection légale des AOC aux niveaux nationaux et internationaux contre les contrefaçons, les usurpations et imitations.

3) Les décrets d'appellation

Chaque appellation est définie par un décret rédigé sur la base des propositions du syndicat de défense et des compléments apportés par l'INAO. Il détermine l'aire géographique, les conditions de production (taille de la vigne, rendements, travail en chais ... ) et plus généralement tous les éléments censés conférer sa typicité au produit. En outre, il peut définir certaines modalités de contrôle.

4) L'agrément

Chaque année, l'agrément est censé valider le respect des conditions de production et vérifier, notamment au moyen de la dégustation, que les nouvelles productions présentent des caractères gustatifs spécifiques à l'appellation considérée. Cette « typicité » est en effet définie sous la responsabilité des professionnels de l'appellation qui jugent si les productions sont conformes ou non à ce qu'ils attendent de leurs terroirs. Ces commissions fonctionnent sur la base du volontariat et sont essentiellement composées de producteurs de l'appellation considérée, ainsi que d'autres acteurs de la production, oenologues, (...) et des représentants de l'INAO.

B - Des décrets qui ne répondent plus aux attentes des filères

Lorsqu'on demande aux professionnels si les décrets d'appellation (cahiers des charges) sont globalement favorables ou défavorables aux AOC, 67 % considèrent que les décrets actuels sont défavorables.

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Les commentaires donnés par les professionnels sur cette question s'organisent en deux groupes ayant des visions diamétralement opposées :

- Les premiers se plaignent des rédactions actuelles, notamment de leur faible niveau d'exigence, voire dans certains cas leur caractère incompatible avec l'essence de l'AOC en tant que produit d'un terroir bien identifié ! Selon eux, ces rédactions trop vagues concourent à une évolution rencontrée ces dernières décennies, allant vers une standardisation des goûts, et qui concerne particulièrement la catégorie d'AOC étudiée (2 à 8 euros la bouteille).

Une motion rédigée sur ce point par les membres de l'association « SEVE » (vignerons réunis), illustre bien cette approche : « la volonté de simplification et de banalisation des étiquettes de vin d'AOC, va à l'encontre d'une politique de diversité et de valorisation des terroirs français et européens. Ceci n'est pas dans le souhait des consommateurs, qui réclament au contraire plus d'informations et de clarté et plébiscitent la traçabilité. Nous ne craignons pas l'usage de copeaux de bois, d'enzymes, de levures, de tanins, d'OGM...à condition que le consommateur en soit informé ». (Extrait).

- Le deuxième groupe, à l'inverse, considère que les contraintes définies par les décrets représentent des freins sur le plan commercial, face à la nécessité de réagir rapidement aux exigences du marché !

On voit apparaître à ce stade de l'étude une divergence majeure sur la notion d'AOC, divergence qui reviendra comme un "leitmotiv' dans les commentaires donnés par les professionnels aux autres questions.

Lorsque l'on demande aux professionnels d'indiquer ce qui -à leur avis- définit les caractéristiques organoleptiques d'une AOC, on a deux types de réponses selon les professionnels concernés :

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Les producteurs : citent en premier (pour 50 % d'entre eux) leur propre contribution (conduite de la vigne et de la vinification), suivie par le décret d'appellation (38 %) et en dernier le marché (13 %).

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Le négoce et la distribution en revanche donnent un éclairage totalement différent, en mettant en premier le marché et la « tendance » gustative à un moment donné (67 %), puis le vigneron (22 %) et enfin les décrets d'appellation (11%).

Cette forte différence d'appréciation permet d'identifier les deux groupes de professionnels porteurs des conceptions antagonistes que nous avons vues précédemment :

- La conception défendue plus particulièrement par les producteurs, reconnaît le rôle structurant des décrets d'appellation, mais accorde la part belle à la note personnelle du vigneron. En revanche, les rôles de la mode et du marché sont négligeables dans cette conception. On peut donc y voir le désir de continuer à produire des vins ayant un lien fort avec le terroir.

- La conception de l'AOC demandée plus spécialement par le négoce et la distribution, donne un rôle négligeable aux décrets et met en avant le rôle dominant du marché et de la mode gustative. La note personnelle du vigneron et le décret d'appellation, sont en revanche très peu cités. Il s'agit bien d'une conception radicalement différente de l'AOC, les vins ayant pour but de répondre rapidement à la demande du marché en termes de note gustative, même si cela a pour conséquence de tourner le dos à la typicité.

C - Des procédures d'agrément hétérogènes et inefficaces

L'agrément est souvent présenté comme la garantie ultime de la typicité et de la qualité des vins sous AOC. Les commissions de dégustation ont en effet pour objet de valider le niveau de qualité organoleptique des vins présentés et le cas échéant de vérifier qu'une production s'écartant de la typicité habituellement reconnue, appartient ou non au registre élargi de cette AOC. Elles doivent également écarter les vins comportant des défauts, ou porteurs d'évolutions non conformes à l'AOC considérée.

2004

2005

Récolte

Volumes d'AOC présentés à l'agrément

21 200 272 hl

24 807 301 hl

Volumes d'AOC agréés

20 758 165 hl

24 483 494 hl

% des volumes agréés

98%

99%

Sources: Rapports d'activités INAO: 2004/2005- 2005/2006

Dans les faits, comme le montre le tableau ci-dessus, l'agrément n'est qu'une plaisanterie : en 2004 et en 2005, plus de 98 % des volumes présentés à l'agrément ont été reçus, il n'y a eu quasiment aucun déclassement !

De fait, les professionnels consultés lors de notre étude ont la conviction que la situation actuelle d'agrément ne fonctionne pas. Alors qu'il s'agit d'une procédure nationale qui devrait être appliquée de manière uniforme à travers toute la France, on découvre au contraire, d'un vignoble à l'autre, une grande hétérogénéité dans la pratique de l'agrément :

- quelques (rares) commissions vont bien au delà de ce qui est exigé de la procédure : du fait de la sévérité de l'examen et de la pression des contrôles, la dégustation s'apparente alors à un concours où -selon certains- « l'on décerne des médailles »,

- d'autres, invoquant des raisons économiques, prennent des latitudes avec la procédure en laissant passer nombre de productions indignes de l'AOC, du point de vue qualitatif,

- mais l'orientation défavorable la plus souvent relevée dans les commissions d'agrément, est la transformation de la notion de « typicité » en un standard gustatif qui a pour conséquence de « lisser » les productions en contradiction totale avec la notion de terroir, les productions traditionnelles étant par nature très variables. En effet, il ne saurait exister un seul et unique vin normé par appellation, mais de nombreux vins pouvant avoir des expressions différentes sur une même appellation.

- la conséquence extrême de cette notion de standard gustatif est d'écarter des vins présentant une originalité marquée. Alors que rien, dans les décrets d'appellation, n'empêche un vigneron de travailler et de soumettre à l'agrément des cuvées originales révélant la typicité de son coteau produit sur l'aire de l'AOC, de nombreux vins de qualité, parfois parmi les meilleurs de l'appellation, se voient refuser l'agrément, au prétexte que leur vin n'est pas conforme au standard.

D - La qualité gustative en berne

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Lorsqu'on demande aux professionnels de la filière si l'AOC constitue une garantie gustative pour les consommateurs, ils sont 40 % à répondre « rarement » ou « jamais » ! Ce jugement sans appel confirme l'incapacité de l'agrément actuel à garantir une qualité gustative minimale au consommateur.

Pour expliquer ce jugement défavorable, outre l'échec de l'agrément, les professionnels indiquent que ce sont plus particulièrement les vins d'entrée de gamme vendus en hard discount ou en grande distribution qui sont concernés par cette mauvaise qualité gustative. On voit ici apparaître la distribution comme un acteur important dans cette évolution de l'AOC. Certains professionnels de la filière mentionnent notamment les pressions exercées par la distribution pour obtenir un produit paradoxal selon la conception ancienne de l'AOC, c'est-à-dire un vin AOC à bas prix. De fait, de nombreux producteurs acceptent de répondre à ces deux demandes à priori incompatibles, et vendent leurs vins à des tarifs pouvant descendre jusqu'à 1 euros le litre !

Le consommateur est alors en droit de se poser la question s'il est alors économiquement viable et qualitativement possible de produire à un tel prix des vins répondant à la définition initiale et exigeante des AOC, c'est-à-dire des vins fabriqués avec de faibles rendements à l'hectare et offrant des caractéristiques gustatives très typées.

E - La disparition du terroir

La "typicité" est le terme souvent employé pour traduire l'expression d'un terroir au niveau gustatif, elle est donc l'objectif premier et constitue l'essence même de l'AOC, en tant que production issue d'un terroir.

Mais lorsqu'on demande aux professionnels si l'AOC (pour les vins entre 2 et 8 euros) constitue une garantie de typicité, ils sont 65 % à répondre « rarement » ou « jamais » ! Ce résultat constitue donc le jugement le plus grave donné par les professionnels et montre la faillite du système actuel des AOC.

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La principale raison donnée par les professionnels à ce jugement catastrophique est la standardisation qui a touché plus particulièrement la catégorie de vins étudiée, l'AOC étant devenu un simple synonyme de standard qualitatif minimum !

F - Des flots de vins standardisés

Les AOC représentent désormais 44 % du volume des vins français, à comparer au 31 % produits par les vins de pays. Quant aux autres vins (vins de table notamment), ils ne représentent que 25 % de la production française. Cela signifie que la production censée représenter le sommet de la hiérarchie des vins, est produite dans des quantités dépassant celles des catégories supposées inférieures (compte tenu de la disparition programmée des AOVDQS).

Pourtant, au début des années 70, la répartition des volumes était très différente : les vins de table constituaient la plus grosse part des volumes produits (70%), les vins de pays représentaient 7%, quant aux AOC elles ne représentaient que 22 % du total.

Mais cette inversion des proportions au cours des dernières décennies, ne peut s'expliquer par la seule évolution du goût des consommateurs vers des produits de meilleure qualité.

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(VQPRD = essentiellement AOC ; VDP = vins de pays, autres = essentiellement vins de table)

Cette situation s'explique également par l'augmentation considérable des volumes produits en AOC, ceux-ci étant passés de 15 millions d'hectolitres à 25 millions entre 1974 et 2005, ce qui correspond à une augmentation de 66 % (voir tableau). Cette croissance des volumes produits s'explique par l'extension des surfaces consacrées aux aires d'appellation, mais aussi par une augmentation progressive des rendements. Par exemple, sur les 10 dernières années, les rendements moyens en AOC ont été progressivement revus à la hausse et sont passés de 53 hectolitres par hectare en 1995, à 56 hectolitres en 2006. Ce phénomène a tout naturellement conduit à une augmentation des volumes mis sur le marché, mais aussi à une baisse qualitative qui fait dire aux professionnels (sous couvert d'anonymat) que 30 % des volumes d'AOC génériques ne sont pas dignes de leur appellation ! Au cours des années, une partie des AOC génériques a ainsi pris le créneau des vins de catégories inférieures.

Les professionnels confirment qu'une partie notable de ces volumes supplémentaires d'AOC, correspond aux vins bons marchés demandés par une partie du négoce et de la distribution, et qui ont conduit au dévoiement de l'AOC.

Conclusion intermédiaire

Les décrets d'appellation, initialement définis pour valoriser les AOC, ne correspondent plus aux réalités et aux besoins des différents représentants de la filière, tiraillés entre deux conceptions antagonistes de l'AOC. La quasi absence de vins déclassés lors de l'agrément, montre que celui-ci ne peut garantir aux consommateurs le minimum gustatif qu'il est en droit d'attendre d'un vin de catégorie supérieure. Mais c'est l'essence même de l'AOC qui est menacée avec la disparition de l'expression du terroir dans les vins étudiés. Car, dans cette course à la production que l'on a observée au cours des trente dernières années, ce sont finalement des productions standardisées qui ont envahi les rayons.

C'est donc à une véritable faillite du système des AOC que nous assistons, mettant en cause l'ensemble des acteurs censés le faire vivre. Qu'il s'agisse des producteurs, des syndicats de défense, de l'INAO, du négoce ou de la distribution, aucun n'a su garantir pour ces vins le niveau d'exigence défini par le baron Le Roy de Boiseaumarié et le sénateur Joseph Capus, fondateurs des AOC, pour lesquels la notion d'appellation d'origine était liée à «l'originalité, l'authenticité et la qualité».

IV- Les propositions d ela profession pour sauver les AOC

A - Les enseignements des deux vignobles exemplaires

De toute évidence, la grande famille des AOC n'a pas le vent en poupe et vit aujourd'hui une réforme de fond (recherches sur la segmentation, réécriture des cahiers des charges, refonte de l'agrément ...) qui voit son image et ses caractéristiques remises en cause.

Pourtant, dans ce contexte perturbé, certains vignobles font encore le choix de l'AOC dans ce qu'il y a de plus noble et de plus porteur. On peut prendre pour exemple, les itinéraires parallèles de deux AOC considérées comme exemplaires au regard de la notion originelle et exigeante de l'AOC : Pic Saint Loup en Languedoc et Beaumes de Venise dans les côtes du Rhône.

- Pic Saint Loup : Actuellement, les vins du Pic Saint Loup font encore partie de la grande famille des vins des «Coteaux du Languedoc», bien que depuis longtemps, les vignerons souhaitent communiquer sur une nouvelle dénomination à leurs yeux plus porteuse et distinguant mieux leur production : AOC « Pic Saint Loup ». Dans cette perspective, ils ont déposé en 2005 auprès de l'INAO une demande pour faire reconnaître leur terroir spécifique. Le dossier est depuis en cours de finalisation, sa validation ne relevant plus que des procédures administratives.

- L'AOC Beaumes de Venise,> située dans le Vaucluse est depuis longtemps renommée pour son fameux Muscat déjà classé en Cru. C'est justement en se basant sur cette légitimité et ce succès que les vignerons ont engagés la démarche de cru pour leur production de vins rouges jusque là en appellation Côte du Rhône Villages. Cette consécration a été reconnue par l'INAO en 2005, leur permettant ainsi de rejoindre le club très fermé des Crus des Côtes du Rhône (Châteauneuf du pape, Gigondas, Côte Rôtie, Condrieu...) Cette démarche a été récompensée par une réussite commerciale en France mais surtout à l'export, avec des niveaux de prix bien supérieurs aux simples AOC. Comme l'indique Pierre Rougon « Ici, nous vendons bien notre production. Toute la production de la cave est vendue conditionnée en bouteilles et les vignerons balméens n'ont jamais distillé un seul litre ! »

Nous avons examiné ces deux vignobles en parallèle, en fonction de la pertinence pour notre étude des différentes actions qui les ont menés à la réussite.

1) Identification initiale d'un terroir spécifique

Avoir un terroir spécifique est une chance, les vignerons du Pic Saint Loup en ont eu conscience très tôt, et se sont organisés pour le développer. Les évaluations successives du terroir et du marché de consommation ont confirmé que le 'Pic Saint Loup', bien qu'appartenant à la grande AOC du Languedoc, avait son histoire et sa réalité propre.

Bien qu'ayant un caractère spécifique indéniable, les vins rouges de Beaumes de Venise avaient du mal à se distinguer auprès des consommateurs, en étant perdus au milieu de la grande famille des Côtes du Rhône (deuxième vignoble français d'AOC en superficie et en production). C'est donc sur cette constatation que ses producteurs ont également développé une stratégie pour identifier leur terroir spécifique.

2) L'établissement d'un cahier des charges propre à ce terroir

Selon les vignerons du Pic Saint Loup, la situation actuelle ne leur est pas favorable, car elle fait dépendre leurs productions du cahier des charges très générique des Coteaux du Languedoc. C'est pourquoi a été retenue l'option de réaliser des vins différents de cette AOC. La nouvelle définition a nécessité une refonte complète du cahier des charges, essentiellement établi autour de l'expression du terroir spécifique. Ceci a permis d'intégrer dans le cahier des charges des caractéristiques plus fines, mieux adaptées (proportions des cépages, rendements, densité de plantation ...).

3) La gestion rigoureuse de l'appellation

Les professionnels étant en quelques sortes « propriétaires » de leur AOC dans le système français, dans les exemples étudiés, les producteurs ont très logiquement cherché à gérer leur appellation de manière exigeante, selon des règles qui, après analyse, se sont révélées être communes aux deux vignobles :

- La définition d'un objectif général de progression de la qualité et d'expression du terroir, mesuré de manière qualitative chaque année.

- La prise des décisions communes respectées par l'ensemble des producteurs : ce mot d'ordre semble être la clef de voûte de la réussite des deux vignobles. Ainsi, en Beaumes de Venise, Pierre Rougon, l'un des responsables de cette coopérative, confie « dans cette appellation, il n'y a pas de fausses notes ! »

- Des contrôles pertinents au regard du terroir : les points de contrôles définis dans les AOC génériques sont parfois inadaptés. C'est pourquoi, en Pic Saint Loup, la gestion voulue par le syndicat s'est traduite par des contrôles au domaine très précis, portant sur les points identifiés comme essentiels pour la garantie de la typicité (contrôle de la vinification dans les caves, le contrôle des mises en bouteille, ...).

- Une forte pression de contrôles : pour de trop nombreuses AOC, les autocontrôles réalisés par la professions sont tellement rares qu'ils en deviennent anecdotiques quant à leur représentativité et donc leur légitimité. Pour les deux vignobles étudiés, le nombre et la fréquence des contrôles ont été fortement augmentés, selon le cas sous la forme d'autocontrôles de la part du producteur, de contrôles au domaine réalisés par le syndicat, voire de véritables audits internes.

- Des actions correctives : selon les résultats des analyses et des dégustations, la volonté collégiale impose la mise en place d'actions correctives au(x) producteur(s) concerné(s).

- Un travail de longue haleine : il a fallu aux vignerons de Pic Saint Loup 10 ans d'une politique rigoureuse pour asseoir progressivement une image d'AOC qualitatives et typées. Quant aux rouges de Beaumes de Venise, ce n'est qu'au bout de 20 ans qu'ils sont devenus le 14e cru des Côtes-du-Rhône Villages. Cette approche paraît donc difficilement compatible avec une conception d'AOC réactives aux dernières évolutions de la mode gustative.

4) Une maîtrise des conditions de commercialisation

Ceci implique de vérifier régulièrement les conditions de mise en rayon, notamment la durée d'exposition, l'exposition à la lumière, le rappel des lots non-conformes, etc, qui nuisent fortement à la qualité gustative d'un vin.

En Pic Saint Loup, cette volonté de maîtrise de la distribution est allée jusqu'à fixer un prix intersyndical de l'appellation. Cette politique de prix fort a été instaurée pour promouvoir une cohérence entre une AOC de cru, et un niveau de rémunération correcte pour les vignerons. Elle permet de se doter de moyens financiers supplémentaires pour gérer la distribution. En effet, un des combats actuels de l'appellation est d'éviter que l'on trouve des Pic Saint Loup à 3 euros en rayons, c'est-à-dire des vins qui « cassent le marché » et qui sont uniquement issus de circuits d'élaboration qui ne garantissent pas un produit du terroir. Mais il demeure malgré tout difficile de maîtriser la commercialisation en grande distribution, c'est pourquoi les vins du Pic Saint Loup sont essentiellement présents dans le réseau des cavistes.

5) La prise en compte dès l'origine des exigences du marché

Les nécessités de rentabilité impliquent d'être à l'écoute des exigences du marché et des tendances de consommation, avec lesquelles il faut compter pour la définition des différentes gammes de vins proposées par les viticulteurs. C'est pourquoi l'AOC Beaumes de Venise a appliqué une stratégie consistant à présenter aux consommateurs à la fois ses Crus, mais aussi des Côtes du Rhône génériques plus facilement adaptables aux évolutions du marché.

En Pic Saint Loup, de nombreux vignerons présentent également une gamme à double entrée, l'une composée de vins faciles à boire et à consommer sur 1 à 2 ans, et l'autre offrant des vins plus complexes, très marqués par l'originalité du terroir. Mais dans ce cas de figure, les deux gammes portent la même indication "Pic Saint Loup', c'est pourquoi, on peut se demander si des consommateurs non experts percevront de manière claire et non ambiguë la différence de positionnement de deux vins participant de deux philosophies distinctes, alors qu'ils porteront sur leurs étiquettes une même appellation et un même signe officiel ...

B - Le point d evue de la profession sur la réforme en cours

La réforme des AOC est désormais lancée et pilotée par le nouvel INAO, qui après avoir récupéré la gestion de l'ensemble des dossiers relatifs aux signes de qualité (AOC, AOP, Label Rouge, IGP, Agriculture Biologique et Spécialité Traditionnelle Garantie), devient l'Institut National de l'Origine et de la Qualité. La finalisation de la réforme dans les régions est prévue pour 2008.

Sur le papier cette initiative semble aller dans le bon sens pour de nombreux points clés des AOC. Cependant, au cours des entretiens réalisés avec les professionnels, il est apparu que de nombreux aspects restent à définir ou restent obscurs, voire constituent des sujets d'inquiétudes, compte tenu de certaines orientations de la réforme, qui sont d'ores et déjà actées ou qui semblent se dessiner.

1) Donner une nouvelle définition à l'AOC

Nous avons vu dans les parties précédentes, qu'à la logique initiale de typicité, issue d'un terroir marqué, s'est ajoutée au cours des dernières décennies, une deuxième logique censée répondre à de nouvelles demandes de consommateurs non experts. Cette nouvelle approche a généralement favorisé l'émergence de vins très standardisés qui, comme les vins de marque, de cépage, les vins de tables ou certains vins de pays, relève du « marketing de la demande », c'est-à-dire une démarche visant à coller au plus près des évolutions supposées de l'attente des marchés. A l'inverse, le « marketing de l'offre » concerne l'offre de vins relevant d'un terroir et d'une typicité.

Il faut insister à nouveau sur le fait que cette nouvelle approche du « marketing de la demande », n'est en aucun cas condamnable. Elle repose sur la constatation qu'il existe dans les vins deux grandes familles de consommateurs : ceux préférant des vins plus faciles à boire, moins typés et de qualité constante d'une année à l'autre, et ceux qui recherchent un vin typé, appartenant à terroir bien identifié. Mais il est clair que l'apparition massive de cette logique au sein de la catégorie AOC, a bien évidemment contribué à la confusion du consommateur sur la nature réelle de l'AOC.

C'est pourquoi les pouvoirs publics et les experts ont annoncé à plusieurs reprises l'arrivée d'une nouvelle catégorie qui, par rapport aux AOC, aurait un lien plus faible avec l'origine géographique et aucun avec le terroir. Tantôt appelée IOC (Indication d'Origine Contrôlée) ou encore AO (Appellation d'Origine simple). Ainsi, en 2003, René Renou, alors Président de l'INAO, avait proposé l'AOC d'excellence pour ceux qui s'imposeraient un cahier des charges exigeant et l'AOC tout court pour ceux qui revendiqueraient plus de souplesse. Mais la segmentation si souvent annoncée, n'a toujours pas vu le jour, prolongeant de ce fait la situation actuelle où l'on accepte sous l'appellation AOC des vins sans typicité.

Dans ce contexte particulièrement confus, il est logique que les professionnels consultés aient unanimement demandé que l'INAO propose sans plus attendre « un cadre Français » permettant de préserver les productions nationales. Mais lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui doit rester dans l'AOC et ce qui doit en sortir, l'unanimité disparaît. En effet, les avis sur le futur découpage divergent fortement :

- De manière logique, la vision de l'AOC défendue par la plupart des vignerons passe par un resserrement du lien au terroir, une élévation du niveau d'exigence et une restriction sur les techniques et ingrédients incorporables dans les vins. Ils expriment par ailleurs, des craintes vis-à-vis de la réforme supposée désavantager les petites productions et présager d'une industrialisation de la production, avec au final la disparition du « facteur humain » constitutif des AOC,

- Quant aux représentants du négoce, ils défendent pour beaucoup les volumes importants de vins en AOC génériques, et refusent de voir interdire la standardisation des caractéristiques gustatives.

Il est utile de préciser que si la segmentation des AOC est en panne, c'est également parce qu'elle dépend de la réglementation européenne qui ne reconnaît que deux signes officiels ayant un lien au terroir : l'Appellation d'Origine Protégée (AOP) et l'IGP (Indication Géographique de Provenance). L'AOP désigne un produit ayant un lien fort au terroir pour l'ensemble de ses stades de production (aire géographique, transformation, élaboration, savoir-faire), elle est par conséquent très proche de la définition originelle et exigeante des AOC. L'IGP quant à elle possède un lien moins marqué avec le terroir, lien qui peut ne concerner qu'un seul des stades de production, de transformation ou d'élaboration

Du point de vue des consommateurs, il serait donc logique que le nouveau découpage des AOC ne retienne que les productions ayant fait la preuve d'un lien fort au terroir, leur permettant à terme de devenir des AOP.

On peut supposer que cette nouvelle catégorie reprendrait alors la plupart des crus, une partie importante des AOC communales ou villages et peut-être quelques AOC génériques s'étant distinguées. En revanche, la catégorie restant à définir pour les vins ayant un lien plus distant avec le terroir et qui semble préfigurer l'IGP, devrait probablement comprendre un grand nombre d'AOC génériques et parmi les AOC villages ou communales (ou de crus), celles qui ont distendu leur lien au terroir.

2) ODG : des visions divergentes des futurs organismes de défense des appellations

En ce qui concerne l'organisation des producteurs, la réforme en cours introduit une nouveauté majeure : les producteurs sont tenus de s'organiser en adhérant de manière obligatoire à un organisme de défense et de gestion de l'appellation (ODG), qui remplace les multiples syndicats qui pouvaient exister pour une même appellation.

Les missions de ce nouvel ODG sont capitales dans le cadre de la réforme, puisqu'il devra :

- rédiger les nouveaux cahiers des charges de l'appellation,

- définir le plan de contrôle

- choisir des organismes chargés du contrôle.

Les commentaires recueillis auprès de la filière révèlent tout d'abord une difficulté certaine à accepter la nouvelle obligation d'adhésion, notamment du fait du coût supplémentaire que signifie la cotisation.

Par ailleurs, en ce qui concerne les ODG déjà mises sur pieds au niveau local, de nombreux professionnels s'inquiètent de voir déjà de fortes hétérogénéités dans le niveau de découpage géographique auquel correspondent ces nouvelles structures. Il y a là en effet le risque de voir apparaître des « super -ODG » correspondant à un niveau suprarégional, ce qui est totalement étranger à l'idée d'un lien étroit entre l'AOC et son terroir.

Les craintes exprimées, sont de voir se développer dans le cadre de ces structures une vision très standardisée de l'AOC. C'est pourquoi, nombre de vignerons, d'unions de vignerons et de syndicats que nous avons rencontrés, nous ont fait part de leur intention de constituer leur propre ODG, même s'ils sont censés dépendre d'une ODG régionale !

3) Les nouveaux cahiers des charges en mal de terroir

La réforme prévoit de réécrire complètement les décrets définissant chaque AOC sous la forme de cahiers des charges. Outre la définition habituelle des conditions de production du produit, ces nouveaux cahiers des charges comprendront notamment le plan détaillé des contrôles réalisés aussi bien par le producteur, que l'ODG ou les organismes chargés des contrôles externes.

Pour de nombreux professionnels, si l'on veut redonner une crédibilité aux AOC, il est clair que les nouveaux cahiers des charges devront être construits avant tout sur la notion de lien au terroir. Comme l'indique Patrick Baudoin de l'association SEVE : « renforcer cet avantage, c'est mieux encore affirmer l'identité de nos vins, par une plus grande caractérisation de leur expression dans l'appellation : la définition d'une typicité ».

Certaines dérives, déjà observées sur le terrain, confirment le risque de voir la typicité passer au second plan dans les cahiers des charges. Comme le souligne Michel Issaly « dans certaines régions on voit des cahiers d'habilitation prendre en charge ce que les services de l'administration ne contrôlent pas, ou mal (HACCP, alimentarité du matériel de cave, potabilité de l'eau...) », comme pourrait le faire un standard qualitatif minimal ...

4) Des dégustations autorisant l'originalité

La réforme introduit de nouveaux contrôles renforcés pour vérifier le respect des cahiers des charges en généralisant l'intervention d'organismes externes.

Parmi ces contrôles, la dégustation, qui incombait essentiellement aux professionnels de la filière, sera désormais réalisée par ces organismes. Les professionnels consultés sur ce point, ont insisté sur la nécessité de former correctement les contrôleurs aux spécificités de l'appellation. Un niveau de formation cohérent doit comprendre : la connaissance des caractéristiques des vins et de ces variations habituelles. Les contrôleurs devront être capables d'identifier les défauts afin de démériter les productions concernées, tout en sachant reconnaître des vins porteurs d'originalité.

Il faudra notamment éviter une déviance trop souvent observée dans les anciennes commissions de dégustation, où des refus d'agrément étaient trop souvent motivés par des écarts par rapport à la typicité. Or la « typicité » est une notion récente, jamais définie, ne figurant dans aucun texte réglementaire, derrière laquelle se cache le plus souvent ... la standardisation.

5) Une habilitation ad vitam aeternam ?

Un des changements majeurs introduits par la réforme est la disparition de l'agrément annuel des productions. En effet, une habilitation "présumée' sera tout d'abord accordée au producteur pour une période de trois mois. Puis, au terme des trois mois, et en fonction du résultat des contrôles éventuellement effectués, les opérateurs seront inscrits sur une liste d'opérateurs habilités à produire des vins AOC.

Une telle habilitation au domaine, favorise-t-elle l'assurance de la qualité finale et le respect des caractéristiques fortes de l'AOC au consommateur ? Nous sommes légitimement en droit de poser la question, notamment dans le cas où les choix de certains ODG conduiraient à une pression de contrôles externes insuffisante. Il est à noter que ces préoccupations sont également partagées par certains professionnels contactés, pour lesquels cette démarche apparaît comme la porte ouverte à des dérives.

6) Un accompagnement par l'INAO sur le terrain :

De nombreux professionnels à titre individuel, des syndicats ou des ODG ont d'ores et déjà indiqué leur forte appréhension vis-à-vis de leurs propres capacités à rédiger des cahiers des charges ou des plans de contrôles répondant à la nouvelle grille de lecture. Compte tenu des préoccupations déjà exprimées, notamment sur la manière de traduire la notion de terroir, ils attendent de l'INAO que celui-ci explique sur le terrain, de manière très pédagogique ce qui est attendu concrètement de la réforme.

Une inquiétude est donc palpable et elle se manifeste actuellement. Un professionnel confiait ainsi : « Une Loi d'orientation Agricole toute fraîche, un nouvel INAO, et déjà un certain nombre d'entreprises dans le collimateur d'AOC enfin redevenues contrôlables. Combien de producteurs, combien d'administrateurs, de syndicats, combien de Présidents de nos 471 AOC connaissent réellement tous les enjeux de cette réforme ? Une minorité... »

En ce qui concerne les vignerons, ils craignent plus particulièrement la mise en place d'une réforme rédigée par une minorité. La question de la représentativité dans les instances de l'INAO est parfois posée, certaines composantes de la filière considérant qu'elles ne parviennent pas à faire entendre leur voix. Ainsi, selon les vignerons indépendants, la mise en place des ODG s'est faite «sans concertation avec la base, (...) et la mise en place des autocontrôles de la même façon. En interne comme en externe, ces contrôles se font dans un coin, et le plus souvent sans

informer ceux qui auront la lourde tâche de les mettre en place. Ils se font aussi sans savoir si le coût de cette réforme est acceptable financièrement »

Conclusion

L'Appellation d'Origine Contrôlée avait initialement pour objet de structurer la production viticole française en fonction de son lien au terroir, offrant ainsi aux consommateurs non experts un repère structurant, face à la complexité de l'univers du vin. Mais le contrat de confiance initial qui liait producteurs et consommateurs a été rompu par le dévoiement progressif de la notion d'AOC, plus particulièrement pour les appellations faisant l'objet de cette étude. Tournant le dos au terroir, les productions se sont alors orientées vers une conception plus standardisée, répondant à de nouvelles exigences du marché.

Ces nouvelles orientations ont contribué à une baisse inacceptable de la qualité des AOC génériques, à la confusion chez les consommateurs sur la place de l'AOC dans le système de hiérarchisation français et au final à une perte de crédibilité. Les professionnels de la filière auprès desquels nous avons enquêté, confirment dans leur majorité cette analyse, citant notamment la course aux volumes et aux rendements, les décrets d'appellation dépassés, ainsi qu'un agrément inefficace pour garantir le minimum qualitatif.

La réforme actuelle des AOC apparaît donc comme une opportunité majeure si l'on veut redonner la crédibilité perdue à ces productions. Les réussites observées dans certains vignobles et les commentaires de la profession montrent que cette reconquête doit obligatoirement passer par un recentrage sur la notion de terroir, une identification très claire des productions respectant la définition exigeante et originelle de l'AOC. L'INAO a un rôle de premier plan à jouer dans cette réforme, notamment en accompagnant sur le terrain sa mise en place et en refusant toute déviation qui mènerait à nouveau à la standardisation de ces vins.

Mais c'est sur les organismes de défense et de gestion que reposeront les responsabilités les plus lourdes, qu'il s'agisse de la rédaction initiale des cahiers des charges et des plans de contrôles, de la gestion rigoureuse de leur AOC année après année, ou plus concrètement de l'exclusion d'une proportion notable des productions actuelles. Sur le papier cette réforme semble aller dans le bon sens, mais sa réussite dépendra complètement de la capacité des acteurs à renouveler la notion de typicité.

Un échec de la réforme menacerait sans aucun doute la pérennité de cet aspect du patrimoine culturel français. René Renou s'adressant aux professionnels disait : «le consommateur ne s'y retrouve pas, il faut regagner sa confiance et produire toujours de meilleurs vins (...) éliminer les mauvais vins, et même les médiocres, tout simplement parce qu'ils n'ont plus leur place sur le marché (...) si nous ne faisons pas le ménage nous mêmes, le marché le fera à notre place ! »